Skype espionne ses abonnés et met la faute sur la Chine

7 10 2008

Skype se dit d’abord profondément « désolé » de la divulgation des données concernant ses utilisateurs. Josh Silverman, son président, excuse le comportement de son entreprise en ces termes : « il est de notoriété publique que la censure existe en Chine et que le gouvernement chinois surveille depuis de nombreuses années les communications, à l’intérieur du pays ou vers l’étranger ».

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Rue89 pose la question choc : « Jusqu’où iront les grands groupes internet dans leur collaboration avec le système de surveillance chinois ? Après Yahoo et Google, c’est Skype, le système de communication gratuit d’ordinateur à ordinateur, désormais propriété de ebay, qui est mis en accusation par le Citizen Lab, un institut canadien de l’université de Toronto ».

Selon notre collègue, Vincent Mazelly, de Tom’s Hardware, Skype vient de reconnaître que Tom-Skype, sa co-entreprise en Chine, avait espionné et stocké avec Tom-Online une partie de la messagerie instantanée de ses clients, le tout à l’insu de Skype. La surveillance, selon une information venant d’un observatoire de l’université de Toronto, se serait faite à l’aide de mots clés sensibles en Chine : « indépendance Taiwan », « opposition au parti communiste » ou encore « Falun Gong ».

Vnunet pose avec pertinence la question suivante : « peut-on faire confiance à Skype ? » Skype recense 338 millions d’utilisateurs dans le monde. Une révélation qui inquiète les associations de protection des droits de l’homme. Mais elle pose également la question de savoir si cette pratique se cantonne vraiment à la Chine.

Le Figaro écrit : « Après Yahoo ! et Google, l’opérateur de téléphonie en ligne Skype se plie, lui aussi, aux exigences des censeurs chinois ». De plus, le Le Figaro révèle que : « TOM Online, propriété du milliardaire hongkongais Lee Ka-shing, a justifié sa démarche par le respect de la règlementation chi-noise. De son côté, l’opérateur suédois reconnaît avoir accepté la mise en place de filtres dès le lancement de sa branche chinoise en 2006, mais assure ne pas être au courant du stockage des données. Citizen Lab n’a pas pu déterminer quelles informations avaient été transmises au gouvernement, mais elles sont, de fait, à la disposition du parti ».

Le Journal du Net nous en dit un peu plus sur cette manoeuvre peu honorable de Skype et de son partenaire chinois : « C’est en analysant les données entrantes et sortantes d’un logiciel Skype que les chercheurs se sont aperçu qu’une connexion Internet étrange était établie à partir du logiciel à chaque fois que des mots et des termes spécifiques étaient envoyés via Skype à un correspondant. En pistant ces connexions Internet, les chercheurs sont remontés jusqu’aux machines qui recevaient ces étranges communications et ont pu y pénétrer grâce à une erreur de configuration des serveurs. Une véritable surprise les attendait à l’intérieur, puisqu’ils ont déniché des listes de termes, de mots-clés, de logs, d’identifiants de connexions et même des numéros de téléphones appartenant à des utilisateurs de Skype et de Tom-Skype ».

Rue89 cite Rebecca MacKinnon, chercheuse, qui suit ces questions à partir de Hong Kong : « le fait que Tom-Skype ait pu mettre en œuvre ce système de surveillance et cette rupture de confidentialité de manière aussi choquante pendant une période de temps significative, montre que ebay/skype n’a pas placé suffisamment d’attention, en tant qu’entreprise, sur les droits et les intérêts de ses utilisateurs. Se passe-t-il autre chose que les utilisateurs de Skype ne savent pas, pas plus que le quartier général de l’entreprise d’ailleurs ? »

L’hebdomadaire Le Point rapporte les excuses de l’entreprise qui appartient à e-Bay : « Skype a présenté des excuses à la suite de la publication d’une information selon laquelle le service internet surveillait les forums de discussion par le biais de mots-clés politiquement sensibles et les stockait avec des millions de données personnelles dans des ordinateurs facilement accessibles par tout un chacun, y compris les autorités chinoises. Jennifer Caukin, porte-parole de Skype, a admis qu’il s’agissait d’une atteinte à la protection de la vie privée dans les serveurs. Elle a ajouté que le problème avait été depuis réglé. Toutefois, elle a indiqué que Skype devrait mener de nouvelles discussions avec TOM-Skype après avoir découvert que la co-entreprise avait modifié sa politique en matière de protection de la vie privée à l’insu de Skype afin de stocker certains messages ».

Est-ce bien suffisant ?

Les universitaires canadiens ont souligné non sans raison qu’en plus des messages écrits, « des millions de données personnelles, sont stockés dans des serveurs non sécurisés et accessibles au public ». Ayant pu eux-mêmes y accéder, les universitaires ont dénoncé la « confiance trahie » des utilisateurs.

Le comportement de Skype est d’autant plus incompréhensible que, comme le montrait The Economist, dans un article très révélateur, les serveurs de l’entreprise donnent du fil à retordre au FBI. Il semblerait que les inspecteurs du FBI parviennent très difficilement à intercepter les coups de fil sur ce service en raison du chiffrement et de l’architecture peer to peer. La Chine, au contraire des États-Unis, semble avoir saisi la méthode pour parvenir à ses fins.


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8 responses

7 10 2008
Gilles

On pourrait dire que Skype n’y peut rien, mais en fait le premier objectif et donc le seul souci de toute société est le profit ; de même que Ford fabriquait des camions pour le régime nazi, Skype et Google et Microsoft et Apple et Airbus et Nike et Mobilier de Bureau Machin-Truc de Beauce collaborent avec les autorités Chinoises.
 
Compte tenu de tout ce qui est fabriqué en Chine, et que nous achetons, nous collaborons nous aussi !
 

7 10 2008
Pierre Chantelois

Gilles

D’accord sur le fait de transiger avec la Chine et sur les conséquences ou les obligations que de tels négoces entraînent. Cela étant dit, ces sociétés par qui transitent des communications personnelles devraient avoir au moins l’honnêteté et la franchise d’informer leurs membres ou leurs clients des conséquences d’établir des échanges verbaux ou écrits – via leur logiciel – avec la Chine. Dans le cas de Skype, cela va plus loin. Skype ferme les yeux sur le stockage d’informations sensibles alors que cette société se targue de protéger la confidentialité des conversations. Il n’y a pas deux politiques : une chose pour l’Occident et une pour la Chine. Il m’appartiendra à l’avenir – en cas de profond désaccord – de ne plus verser un euro à cette entreprise qui dissimule ainsi une pratique déloyale à l’égard de ses clients.

En terminant, mon ami, si je décide d’acheter un produit Made in China, je le fais en toute connaissance de cause. Dans le cas Skype et des petites trahisons de Yahoo et de Microsoft qui ont mené des gens en prison, il m’appartient en mon âme et conscience de les accepter ou de les rejeter. Je trouve, avec toute la naïveté qui m’anime, écœurant et salopard ce comportement de ces grandes sociétés qui se réclament des meilleures normes de sécurité alors qu’il n’en est rien. Je communique avec la France – une heure ou deux par jour – à l’aide de Skype. Je tombe de bien haut. Ma confiance est sérieusement ébranlée.

Trick me once, shame on you. Trick me twice, shame on me, n’est-ce pas ?

Pierre R.

7 10 2008
Gilles

Tu as tout à fait raison. Ce qui m’étonne est qu’on (les médias et leurs lecteurs) soit étonné… De même que les ministères ne se communiquaient pas nos renseignements personnels de l’un à l’autre, jadis, puis qu’ils nous ont prévenus qu’ils pourraient le faire avec notre permission, ensuite qu’ils pourraient le faire « dans certains cas », et qu’enfin ils nous informent qu’ils le font « de manière à assurer un meilleur service », tous ceux — sociétés commerciales, institutions, banques, etc. qui collectent des renseignements les logent quelque part ; alors il faut être bien conscients que les fonctionnaires sont curieux (on se souvient du cas où des fonctionnaires ont consulté la déclaration de revenus d’une chanteuse bien connue), sont malhonnêtes (on se souvient de la fonctionnaire du ministère des plaques d’immatriculation qui communiquait les adresses de gardiens de prises à un club social de motards bien connu), sont négligents (des DVD ou des portables sont souvent oubliés dans les restaurants ou sur les bancs de parcs, ou ailleurs…), sont humains, en un mot.
 
Que faire ? Espérer que nos renseignements personnels ne tomberont pas aux mains de terroristes ? Ils sont déjà aux mains de sociétés de marketing ciblé… Je plaisante, mais nous voici confrontés au revers de la médaille de la société de l’information, Big Brother sait tout de nous. Que faire ? Espérer qu’il sera noyé sous la quantité d’informations et qu’ainsi elles seront inutilisables ? En fin de compte, ce n’est peut-être pas plus inquiétant que le fait qu’à l’époque où tout le monde vivait dans un village, tous savaient tout de chacun, mais les intentions des Puissants ne sont pas aussi bénignes que celles de nos voisins, cependant.
 
Mes vidéo-conférences sur iChat [l’équivalent chez Apple de Skype] sont cryptées ; je sais bien que le chiffre ne résisterait sans doute pas à des experts Chinois (ou autres), alors il me reste à faire preuve d’imagination et à utiliser des conventions, si je veux parler de sujets interdits, nous en sommes là. Un instant ! Pourquoi parlerais-je de sujets interdits ? Bonne question !
 

7 10 2008
Pierre Chantelois

Gilles

Vous avez fort bien décrit la société dans laquelle nous vivons. Rien ne pourra empêcher un vilain qui veut s’approprier des informations sur autrui de le faire en toute impunité jusqu’à ce qu’il soit débusqué. Mais il reste que pour une société commerciale qui roule des millions de dollars se faire prendre en flagrant délit de connivence avec la Chine n’est pas sans conséquences. Yahoo a payé chèrement sa petite trahison auprès des autorités chinoises et qui a mené à l’arrestation d’un blogueur dissident. Encore aujourd’hui, ce geste lui pèse lourd. Que dire également des sites comme MySpace et autres qui doivent, après dénonciations publiques, mettre en place des outils de contrôle contre les abus d’usurpation d’identités. J’ose croire, dans mon éternel optimisme, qu’il y a encore place à la dénonciation de ces collusions inacceptables et que cette dernière n’est pas sans conséquences sur la réputation d’une entreprise comme Skype.

Pierre R.

7 10 2008
Françoise

Quoi de plus dangereux pour les puissants que de laisser les gens libres de parler librement…

Faire du profit se conjugue mal avec le mot « éthique »… Peu importe si l’on envoie des gens croupir en prison, ou pire, tant que cela permet de faire plus d’argent.

7 10 2008
Dominique Hasselmann

La « collaboration » volontaire de tel ou tel fournisseur de services sur Internet avec les gouvernements de tel ou tel pays, pour des raisons de flicage final (Pékin prépare-t-il déjà les prochains Jeux olympiques) n’est pas admissible.

Quand on achète un produit chinois (des bonbons à la mélamime), puisqu’on en trouve en Belgique, on le fait en (plus ou moins) connaissance de cause.

Quand on s’abonne à un service téléphonique par Internet, il n’est pas indiqué qu’on est relié directement au ministère de l’Intérieur : il y a donc tromperie sur la marchandise.

On sait que la Toile est propice à l’espionnage sous différentes formes (policier, marketing, etc.) des données personnelles. Le tout est de le savoir et d’en tirer les conséquences éventuelles.

7 10 2008
Pierre Chantelois

Françoise

La liberté de parole déplaît par-dessus tout. Elle remet souvent en cause les actions et les décisions des gouvernements. Il en va ainsi du secteur privé. Qu’il suffise de rappeler à quel point les recours collectifs sont irritants pour les entreprises. Voilà pourquoi aujourd’hui le contre-pouvoir se situe beaucoup autour des blogues et de l’internet.

Dominique

Entièrement d’accord. Force est d’admettre que la Chine, au lendemain des jeux, croyait bien en son image gagnante. Le lait contaminé, les interventions de l’État dans l’internet, la censure et la récente gestion des désastres naturels sont venus bousculer cette belle image de réussite de la Chine. La richesse ne permet pas toutes les dérives sans les conséquences que l’on connait.

Pierre R.

7 10 2008
Olivier SC

Les (certains) Réseaux s’y mettent donc ? Souvenons-nous que quelques moteurs ce sont aussi « couchés » face à la Chine …

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