Visa le noir. Tua le blanc. Nicolas Sarkozy n’a pas le courage, disons-le tout net, de démettre de ses fonctions Ramada Yade pour une prétendue insubordination ou Rachida Dati pour un comportement trop provocateur et agressif à l’égard de la magistrature. À cela devrait s’ajouter, dans le cas de madame Dati, un goût démesuré pour les feux de la rampe et les paillettes. En lieu et place, le président attaque par la porte arrière. Sans en avoir l’air. Des basses œuvres qui n’honorent pas, une fois encore, la fonction présidentielle. Le président, à qui un ministre ou une ministre ne satisfait pas un caprice de prince, se rebiffe, cédant la raison d’État aux émotions et à un orgueil surdimensionné.
« On a besoin de gagneurs, pas de suiveurs », a lancé Nicolas Sarkozy, telle une fléchette empoisonnée, en direction de Ramada Yade. Parce que Nicolas Sarkozy se range dans l’équipe gagnante. Il est celui par qui toute carrière va vers la réussite. Ou l’échec. Selon son bon vouloir. Sans réaliser lui-même à quel point le président de la France devient, au bout du compte, pénible et d’une bassesse qui frôle franchement la lâcheté. Ramada Yade n’a plus l’étoffe de la fonction ? Ramada Yade ne remplit plus adéquatement les obligations de sa charge ? Rachida Dati a mis le gouvernement, par des décisions irréfléchies, dans l’embarras ? Une décision s’impose alors. Le congédiement.
Aucun de ces griefs, malheureusement pour le président capricieux, ne peut être retenu contre Rachida Dati ou Ramada Yade. Dans le cas de madame Yade, aucun faux pas catastrophique. Elle n’a pas, par exemple, à se reprocher le départ, de son cabinet, d’une vingtaine de collaborateurs. Le seul petit reproche qui pourrait lui être formulé est sa trop grande discrétion. Défendre les droits de l’homme engage parfois des combats qui font du bruit, qui bousculent l’ordre établi, qui remettent en cause des préjugés tenaces au sein de la population.
Et dire que Nicolas Sarkozy distille ce conseil à son équipe ministérielle : « Une famille politique c’est fait de gens qui aiment le combat et la prise de risque. Choisissez des responsables qui ont envie. Chaque fois qu’on oublie cette règle, on a des désillusions ». Sarkozy, le premier, fait fi de cette règle. C’est pourquoi il ne récolte que désillusions et cynisme au sein de la population française.
La Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères et Droits de l’Homme a osé dire « non ». Tel un enfant gâté, dans un comportement jet-set insupportable, Nicolas Sarkozy fait comprendre, de façon perfide, mesquine, basse et veule, qu’il n’accepte pas les refus et qu’il s’attend à une soumission inconditionnelle de son personnel. Le président décide de tout. Il attaque et s’acharne à stigmatiser une ministre dissidente jusqu’à la rupture.
La non-candidature de Ramada Yade, pour cause de refus, a cédé la place à la candidature non-voulue de Rachida Dati. Devant le grand prêtre, Rachida Dati a prononcé ses vœux : « oui, je vais au parlement européen ». Gênant. Très gênant. Quelle que soit l’opinion que puisse avoir la population de Rachida Dati, cette soumission humiliante constituera, pour des années à venir, une plaie béante dans sa carrière. Il faut se rendre à l’évidence : Sarkozy n’a pas raison sur tout.
En voulant rehausser Rachida Dati, Nicolas Sarkozy montre le peu de hauteur de sa conception d’une équipe solidaire. Le droit au refus est inacceptable, pour l’enfant acariâtre. N’a-t-il pas déjà déclaré, un jour d’embellie, que « quand je vois Rachida de dos, je vois ma mère » ? Solidaire signifie aux yeux du monarque soumission. « Qu’est-ce que c’est que cette attitude qui consisterait à dire que l’Europe ce n’est pas ce qu’il y a de plus important pour l’avenir de notre continent. (…) Dans notre famille politique, j’ai plus de respect, d’amitié, de reconnaissance pour ceux qui conduiront le combat que pour ceux qui suivent le combat des autres », déclare le président de ce grand pays qu’est la France. Grandeur et noblesse ne sont plus au rendez-vous de la présidence française. Nicolas Sarkozy devra expliquer ce qu’il entend par combat. Combattre pour qui et au nom de quoi ? Le prince devrait se rappeler ce que disait Machiavel : « Vous devez donc savoir qu’il y a deux manières de combattre : l’une avec les lois, l’autre avec la force ; la première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme la première, très souvent, ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde ».
Pour régler le problème de l’Europe, Nicolas Sarkozy déclare qu’il faut s’y prendre autrement. Il veut briser cet autre mythe tenace – rupture s’impose – qui veut que les élections européennes soient en général des échecs pour le parti majoritaire. Euphorique, tel l’enfant aux mille caprices qui ne voit que ce qu’on lui permet et grommelle sur ce qu’on lui refuse, Nicolas Sarkozy voit dans la profonde soumission de ses sujets, incommensurablement abjecte, une occasion de célébrer sa propre gloire et faire oublier son échec de 1999 : « La décision de mettre Rachida et Michel en tête de la région la plus peuplée de France est proprement historique ». Nicolas Sarkozy le rappelle bien et la population française devra s’en souvenir en 2012 : « La vie d’un gouvernement, c’est fait de départs et de retours ». Les humiliations publiques auxquelles semble se complaire le président sont contraires au principe même de solidarité ministérielle qu’il défend et montrent un esprit coincé dans un comportement vexatoire.
Rachida Dati est-elle heureuse ? Qu’importe au président les états d’âme de ses sujets. Ramada Yade se sent-elle humiliée ? Cela importe peu aux yeux du prince de l’Élysée. « C’est Nicolas Sarkozy qui décide de tout », glisse un élu UMP. Une voix s’élève pour dénoncer cette emprise royale sur les affaires de l’État. « Pour l’instant, il est hors de question que je prenne la troisième place. C’est un strapontin, et je n’ai plus l’âge des strapontins », réplique Alain Lamassoure, l’artisan du traité de Lisbonne.
Ce qui est, à la fois, surréaliste et profondément affligeant, est de voir un président qui croit ses envolées oratoires comme étant des apophtegmes qui s’inscriront dans l’histoire. Alors qu’il en est tout autrement. Nous ne sommes pas témoins de grandes œuvres mais au contraire, nous sommes invités dans les bas-fonds de la vengeance et de la mesquinerie. C’est peu dire.
La question qui doit être posée est la suivante : pourquoi Nicolas Sarkozy ne congédie-t-il pas ses deux ministres si elles sont, à ce point, incapables avec les attentes qui leur ont été signifiées ? Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, chuchote, pour ne pas se mettre, elle-même, en disgrâce, qu’on pardonne moins aux femmes qu’aux hommes. Nathalie Kosciusko-Morize voit dans ce comportement tout princier de Sarkozy une posture qui brûle ce qu’il a adoré.
Rachida Dati a raison sur un point : « Je crois que quand on est une femme ou un homme politique, on n’est pas propriétaire ni de son poste, ni de son mandat. On est au service de la France, on est au service des Français qui ont élu le président de la République ». Être au service du président de la République ne signifie en rien être sous sa domination. Lorsqu’il y a rupture de confiance, il faut savoir partir à temps, dans l’honneur, à défaut d’être congédié. Rachida Dati et Ramada Yade, pour l’honneur de leur réputation et de leur fonction, n’ont d’autres choix que de démissionner. Elles doivent refuser et rejeter, s’il leur reste un peu d’amour propre, ces règlements de compte, ces manipulations, ces caprices d’un Prince qui a perdu ce que la République a de plus précieux dans la gouverne des affaires de l’État, la raison.
Les PosutoTwo ont également traités de cette question. Je vous recommande le détour.