Dénoncez les excès de vitesse de votre voisin, votre permis de conduire vous sera remis pour six mois !

9 02 2009

Un scénario improbable : dénoncez votre voisin pour ses excès de vitesse et le ministre remettra à zéro votre dossier de mauvais conducteur, pour six mois.

Un scénario vraiment en force : dénoncez votre passeur et vous recevrez une « prime à la délation », soit un titre de séjour de six mois.

Quelle différence y a-t-il entre la ville d’Hyderabad, en Inde, et la France ? Aucune. Les deux adoptent la délation comme mode de comportement. La police indienne vient de lancer, dans la ville d’Hyderabad, un centre de réception de SMS, afin de lutter contre le terrorisme. Les autorités ont mis en place ce service, qui permet aux habitants de cette ville, de dénoncer les comportements suspects, via leur téléphone mobile. La France vient de mettre en place une « prime à la délation » parmi les immigrants clandestins.

La France rejoint en cela également l’Italie. Selon une norme votée par le Sénat, dans le cadre d’un paquet de mesures destinées à renforcer la sécurité sur le territoire, les médecins italiens peuvent désormais dénoncer à la police un patient clandestin. Comme l’indique Le Figaro, pour la Ligue du Nord, qui a imposé cette norme, c’est « le seul moyen de combattre les épidémies que transmettent les immigrés ».

Voilà où s’en va la France de Nicolas Sarkozy. Je dis bien la France de Nicolas Sarkozy car ce n’est pas la France de tous les Français et de toutes les Françaises. « Si vous dénoncez vos bourreaux, vous aurez des papiers ». Cette formulation, pour odieuse qu’elle soit, était proposée en 2003 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy.

Six ans plus tard, l’idée est reprise. Le ministre de l’Intérieur, maintenant président de la France, la ramène au premier plan. Depuis ce jeudi 5 février, par le pouvoir délégué du ministre de l’Immigration, Eric Besson, les « illégaux », en France, pourront se voir délivrer un titre de séjour à la condition expresse qu’ils dénoncent leur passeur. Le ministre de l’Immigration a signé une circulaire dont l’objectif premier serait de démanteler des filières. « Ce sont des filières mafieuses, des filières criminelles. Les passeurs gagnent beaucoup d’argent ».

Pas de doute. Eric Besson n’a pas hésité longtemps pour chausser les espadrilles de Brice Hortefeux qui lui-même avait chaussé rapidement celles de Nicolas Sarkozy.

Le ministre Besson trouve malheureux que les immigrants ne puissent dénoncer les passeurs : « les clandestins sont aujourd’hui dans un statut qui ne leur permet pas de dénoncer leurs tristes conditions puisque, justement, ils n’ont aucune titre de séjour. Ils peuvent avoir peur d’aller voir la police ou la gendarmerie ». La cause est entendue. Ce ne sont pas ces malheureux clandestins qui sont visés mais le fait qu’ils ne puissent dénoncer. Nuance.

Le ministre Besson, ancien socialiste, faut-il le rappeler, fraîchement converti à droite en retour d’un poste ministériel, souligne à grands traits noirs que « les immigrés illégaux savent que s’ils dénoncent ceux qui les ont mis dans cette situation, ils peuvent obtenir instantanément un titre de séjour provisoire et coopérer avec la police ». Coopérer avec la police. Le mot est lâché.

Et la bêtise a des airs de famille. Pour défendre son collègue Besson, Frédéric Lefebvre, porte-parole de l’UMP, invoque un principe républicain : « Si la délation est condamnable car se faisant au détriment de gens honnêtes, la dénonciation est un devoir républicain prévu dans la loi et permettant de lutter contre les délinquants ». Selon le député des Hauts-de-Seine, « C’est un mauvais procès qui est fait à Eric Besson ».

Pourtant, sans dénoncer vertement le fait, la secrétaire d’État à la Politique de la Ville, Fadela Amara, se dit particulièrement gênée par la délation, même si elle peut servir une bonne cause. Il est possible que la ministre, aux états d’âme trop sensibles, ait été remise à sa place. Discipline ministérielle oblige. Elle s’est plus tard déclarée attachée, comme Eric Besson, au fait de « lutter efficacement contre ceux qui exploitent la misère humaine ». Le mot « délation » était disparu de son vocabulaire.

L’odieux de cette démarche réside dans les intentions cachées. La procédure de traitement d’une demande d’immigration ne s’en trouvera accélérée que si un immigrant illégal dénonce. Et elle ne sera que temporaire. Le sans-papier, une fois entendu par les services de l’État, disposerait, selon le ministre de l’Immigration, d’ « un délai de réflexion de 30 jours pour lui permettre de se soustraire à l’influence de ses exploiteurs et prendre sa décision de porter plainte ». Ce n’est qu’une fois cette décision prise que « la victime pourra recevoir une carte de séjour temporaire » de 6 mois minimum, « renouvelable jusqu’à l’achèvement définitif de la procédure judiciaire ». Pour cette délation, rien ne lui garantit un titre de séjour permanent. Avec un brin d’imagination, il est possible de prévoir l’imbroglio dans lequel seront placés ces « délateurs » si leur demande, au terme des procédures judiciaires, est refusée. La France sera plus odieuse que jamais.

SOS racisme a pointé le problème : « La question des régularisations doit être approchée selon des règles claires et transparentes qui seraient issues d’une réflexion relative aux droits des étrangers et en aucun cas de considérations policières ». Et l’organisme pose la bonne question : le délateur, ainsi identifié, par une quelconque indiscrétion, pourrait subir les conséquences de son geste en mettant en péril sa famille restée au pays. Et comme l’indique une nouvelle fois SOS racisme, cette circulaire ministérielle revient à livrer les sans-papiers à un arbitraire administratif et à une complexification du droit.

Pour le ministre Besson, c’est un signal fort lancé aux « mafieux ». Imaginons un court instant : si la procédure judiciaire aboutit à une condamnation définitive d’un ou plusieurs membres de cette filière, un titre de résident de 10 ans est délivré à la victime. Pour les immigrants illégaux, c’est une nouvelle épée de Damoclès sur leur tête et une plus grande précarité : leur vie pourrait être menacée par suite d’une telle dénonciation. « Vous imaginez les règlements de compte et les conséquences pour la famille restée au pays », explique Pierre Henry. Violaine Carrère, juriste au Groupement d’information et de soutien aux immigrés (Gisti). Cela importe-t-il au ministre qui érige en système républicain la délation ? Il semble que non. Seuls les chiffres trouvent grâce auprès de la présidence.

Faut-il faire confiance à l’État, dans de telles circonstances. Les associations d’aide aux prostituées – le Mouvement du Nid, la fondation Scelles – ont expliqué à France24 que plusieurs prostituées ayant dénoncé leur proxénète n’ont pas obtenu de papiers. Ou seulement des titres très provisoires. Et qu’elles n’ont pas été protégées contre des mesures de rétorsion.

L’association France terre d’asile, fondée en décembre 1970, a principalement pour but le maintien et le développement d’une des plus anciennes traditions françaises, celle de l’asile et de garantir, en France, l’application de toutes les conventions internationales pertinentes. Pour cette dernière, six ans après la proposition de Nicolas Sarkozy, les victimes de la prostitution sont toujours là, toujours sans papiers. Elles sont simplement moins visibles sur les trottoirs, mais travaillent dans des conditions nettement plus dangereuses. L’Association rappelle que, au-delà même de l’inefficacité du dispositif, c’est le « danger » qu’il fait courir aux clandestins acceptant de collaborer avec la police qui inquiète. Selon le directeur général de France terre d’asile, c’est bien l’Union européenne qui « fabrique de l’illégalité ».

« Qu’est-ce que cela signifie de faire dépendre de la condamnation d’un tiers l’obtention d’un titre de séjour ? », s’étonne Violaine Carrère, chargée d’études au Gisti. « Cela n’a donc plus rien à voir avec les mérites de la personne, mais avec l’efficacité des services de police… »

Pour seule réponse, le ministre Besson a lancé : « Les femmes battues qui portent plainte doivent-elles être accusées de délation ? Ces clandestins doivent-ils rester dans leurs caves pour ne pas qu’on les accuse de délation ? » Monique Delannoy, présidente de l’association la Belle Étoile, membre du collectif d’aide aux réfugiés de Calais C-SUR, est estomaquée : « C’est aberrant, on a l’impression de vivre une histoire que me racontaient ma mère et ma grand-mère… Mais c’était en 1940 ».

Yazid Sabeg,commissaire à la Diversité et à l’Égalité des chances, est un homme multidisciplinaire : conseiller, financier, industriel et homme de réseau. Il y a quelques semaines, il avait créé un émoi certain en décrivant la France comme étant « en voie d’apartheid ». Il avait prôné des mesures coercitives pour imposer « des Noirs et des Arabes », notamment en politique. Comme le rapporte Le Figaro, le délégué interministériel chargé de l’égalité pour les Français d’outre-mer, Patrick Karam, avait vivement réagi : « Comparer la France à l’apartheid, c’est sous-entendre que l’État empêche les enfants d’immigrés de réussir. De quoi nourrir la haine de certains ». Quelles seront maintenant les conséquences de cette nouvelle circulaire du ministre Besson sur les esprits déjà chauffés contre ces immigrants clandestins, voleurs d’emplois ?

Les lecteurs ont également un avis sur la question. Ne sous-estimons l’impact qu’une telle politique crée au sein de la société française. Dans un premier temps, un lecteur écrit, sur Europe1 : « Et si, tout simplement, on expulsait les immigrants clandestins, car ils sont en situation illégale? Nous, bon français, travailleurs qui cotisons à tout, payons les impôts, on nous sanctionne lourdement pour des infractions beaucoup moins graves, alors les étrangers ont-ils plus de droits que nous? Sont-ils par nature victimes et nous bourreaux? Sommes-nous stupides au point de nous laisser prendre notre argent en renonçant à NOS droits? ».

Un autre auditeur d’Europe1 pose cette question : « Doit-on appliquer la tolérance zéro pour l’immigration clandestine? Quelle question poser à l’antenne! Les journalistes d’Europe 1 sont-ils favorables à l’application des lois votés par un Parlement élu, ou comptent-ils rédiger les lois eux-mêmes? Un clandestin est forcément hors la loi, il ne peut donc se réclamer d’une tolérance. Le tout est de savoir si l’on se donne les moyens d’éviter la présence de clandestins, qui sont les premiers à souffrir de leur situation, et auxquels les passeurs ne l’ont certainement pas décrite sous son vrai jour ».

Sur France2, un auditeur laisse ce long message : « La nouvelle politique préconisée par le ministre ressemble à s’y méprendre à celle pratiquée sous VICHY. Elle a abouti aux rafles des juifs et à leur envoi en convois (on dirait charters aujourd’hui ) vers les camps de travail et la mort. Ils vont nous raconter que c’est pour respecter les directives européenes. […] Certes la France à toujours reçu des immigrés pour venir prêter la main dans les champs ou les mines. Ceux-la venaient d’europe pour la majorité. Ils sont restés on fait souche et se sont intégrés en deux générations. Aujourd’hui il n’est pas possible de porter la misère du monde sur notre dos. Il vaudrait mieux aider certains pays à se développer en éduquant et gardant leurs émigrés chez eux. Ce seraient autant de marchés pour les débouchés de notre économie. Les chinois l’ont bien compris, qui envahissent les pays d’Afrique aujourd’hui pour aider ceux-ci à se développer en y implantant leurs usines et en leur exportant leurs produits à bas coup. Depuis deux siècles que nous sommes sur le continent Africain, ce ne sont que magouilles, corruptions et exploitation de la misére locale pour arroser des chefs d’états verreux et enrrichir des grandes sociétés qui exproprient et pillent les matières premières à leur seul profit. Alors, les gens désespérés croient trouver leur salut en venant chez nous mais en réalité ils n’y trouvent généralement que l’enfer. La France doit montrer l’exemple et lutter contre l’immigration clandestine en empêchant leur entrée sur le territoire national.C’est une question de survie pour notre civilisation! »


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9 02 2009
Françoise

Pierre,

Ce n’est que la suite logique de tout ce qui a précédé. Je vous renvoie à cet article du 30 Novembre 2007. Après avoir incité, par divers moyens, les employés des administrations qui ont à faire avec les étrangers à la délation, après les avoir piégés dans les préfectures, on en arrive à demander aux étrangers eux-mêmes de faire le « travail« .

Le ministre Besson, ancien socialiste, faut-il le rappeler, fraîchement converti à droite  […]

Il n’y a pas plus zélé que les fraîchement convertis…

9 02 2009
Pierre Chantelois

Françoise

En effet. Une suite prévisible, je dirais, mais pas nécessairement logique, dans notre entendement 😉

Merci pour le lien.

Pierre R.

9 02 2009
gaetanpelletier

Tout un dossier!

Et tout un problème.

Les États-Unis sont également aux prises avec des «illégaux». Je pense que tous les pays développés le sont : refuges pour échapper à la pauvreté et à la misère.

Quant à la délation… C’est la première fois que j’entends parler d’une «récompense»… Ça a un petit air de banditisme…

Il y a un film sur le sujet ( The Impostor), en français «De Passage».

Très très touchant.

Le film nous sensibilise au fait que certains illégaux, sans êtres renvoyés dans leur pays, se perdent dans la paperasse et les prisons américaines.

Ils disparaissent sans qu’on sache où ils ont été «transférés».

9 02 2009
posuto

Pierre,

Je trouve le commentaire laissé sur France 2 très ambigu, on y trouve des propos d’extrême-droite voisiner avec des propos très sensés.

Curieux.

Sinon, merci d’avoir, malgré ces $#¤! de Besson et autres sarkozystes, encore foi en la France.

RV

9 02 2009
Pierre Chantelois

Gaëtan

Je n’ai pas vu, malheureusement, ce film « De Passage ». Dans le contexte actuel, je crois bien que je vais le louer par un de ces quatre 🙂

RV

En effet. Plutôt ambigu.

Les Vox Populi nous en apprennent parfois beaucoup sur ce que la population : elle tout haut ce que des politiciens n’osent même pas dire tout bas.

Pierre R.

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