« Israël a commencé la guerre. Et la guerre a été une erreur majeure » – Eliahou Winograd

31 01 2008

Le Premier ministre d’Israël, Ehoud Olmert, n’était pas sans savoir qu’un tsunami se préparait lorsque le juge à la retraite, Eliahou Winograd, qui préside la commission d’enquête chargée d’étudier les opérations militaires menées au Liban entre le 12 juillet et le 14 août 2006, lui a remis copie de son rapport de plus de 600 pages, rédigé sur la base de 74 témoignages de responsables politiques et militaires et d’experts. La publication attendue du rapport confirme les pires craintes : incompétence, absence de coordination, manque cruel de synchronisation et de communication entre les armées, tout s’y trouve. Israël, une puissance régionale, fait piètre figure contre le Hezbollah du Liban.

Un mur de béton se dresse autour du Premier ministre, en prévision des réactions que suscitera le rapport Winograd. Au bénéfice d’Ehoud Olmert, le rapport ne formule aucune recommandation sur une démission possible de ce dernier, dont la responsabilité dans les ratés de la guerre avait déjà été mise en avant lors du rapport intérimaire publié en 2007. Aucun ministre du gouvernement ne semble vouloir des élections anticipées en Israël. Ehoud Barak, chef du Parti travailliste et ministre de la Défense, avait prévu le coup : « Le premier ministre n’était pas seul à blâmer dans cette affaire », laissant entendre son peu d’intérêt pour pour un retour plus tôt que prévu aux urnes. « Je vous le dis, il n’y aura pas d’élections anticipées », a renchéri le ministre des Finances, Ronnie Bar-On, membre du parti centriste Kadima d’Olmert. « Le rapport Winograd ne déclenchera pas une nuit des longs couteaux au sein du parti Kadima », a déclaré le ministre du Logement, Zeev Boim. Le fait que le parti de droite Likoud, dirigé par l’ex-premier ministre Benyamin Netanyahou, soit donné gagnant par les sondages expliquerait en partie cette situation.

Une partie significative du rapport est consacrée aux trois derniers jours de la guerre. Vendredi 11 aout 2006, alors que les ambassadeurs français et américain à l’ONU travaillaient activement à un cessez-le-feu qui engagerait Israël, le Hezbollah et le Liban, Olmert avait donné le feu vert à une opération de grande envergure. La décision de lancer l’opération à un moment où les négociations aux Nations unies étaient sur le point d’aboutir, alors qu’Olmert savait qu’il n’avait que 60 heures devant lui, ainsi que le nombre élevé des pertes, ont transformé cette opération militaire en l’un des événements les plus controversés de la guerre, sauf que « les forces de Tsahal n’étaient pas prêtes pour une telle opération », a expliqué le juge Winograd. (DesInfos).

De façon plus générale, le président de la Commission, Eliahou Winograd, a rappelé quels étaient les buts de sa Commission : « répondre à la crise profonde dans la population suite à cette guerre non gagnée et la nécessité de réparer les défaillances ». Comme l’indique Arouts7 : « les membres de la Commission ont rappelé à plusieurs reprises le manque de préparation de l’échelon militaire, l’absence de vision stratégique de l’échelon politique, et surtout les défaillances dans les relations et la communication entre eux ». « Les buts trop ambitieux déclarés au début du conflit, et les hésitations dans les décisions, ont réduit les marges de manœuvres de l’armée et des responsables politiques. Les alternatives étaient réduites, et Israël a été entraîné dans la dernière offensive » a indiqué Eliahou Winograd.

De plus, le président de la Commission constate que : « Bien que jouissant d’une supériorité aérienne, Israël a perdu la guerre. Aussi bien au niveau politique, qu’au niveau militaire, les chefs de l’exécutif se sont lourdement trompés ». De manière plus cinglante, la Commission en vient à la conclusion que : « Israël a commencé la guerre. Et la guerre a été une grande erreur, une erreur majeure ». Pour l’auteur du rapport, « la guerre a été un fiasco total ». C’est ce qu’il a déclaré devant les journalistes. Pire. Selon le juge, s’il n’y a pas eu défaillance dans la décision du cabinet Olmert de lancer cette offensive : « la décision d’entrer en guerre a été prise sans aucune stratégie ». Et Eliahou Winograd de conclure : « À l’avenir, pour dissuader nos ennemis, Israël a besoin de dirigeants forts et d’une armée puissante ». Malgré tout, le rapport estime que le Premier ministre, Ehoud Olmert, a été guidé par « une approche sincère des intérêts d’Israël ». Cela étant dit, il reste que, selon la Commission Winograd : « Tsahal n’a pas répondu aux besoins de défense du pays, par le fait que les missiles ont continué à pleuvoir sur Israël tout au long du conflit, ce qui a eu des conséquences graves, même sur les événements futurs ».

Entre 1.035 et 1.191 civils et combattants libanais ont été tués durant la guerre au Liban, tandis que côté israélien 119 soldats et 40 soldats ont trouvé la mort, selon des chiffres provenant des deux camps.

Le juge Eliahou Winograd s’est déclaré satisfait de la résolution 1701 du Conseil de sécurité. Selon lui, le fait que cette résolution, établie à partir d’un document préparé par la France et les États-Unis, a été votée à l’unanimité est une « victoire » pour Israël – bien qu’elle n’ait été ensuite appliquée qu’à moitié. Cette résolution appelait la milice chiite libanaise Hezbollah à cesser immédiatement toutes ses attaques et Israël à cesser immédiatement toutes ses opérations militaires offensives au Liban. Le projet avait été critiqué par le Liban et la Ligue arabe pour ne pas avoir exigé un retrait immédiat de Tsahal et pour avoir autorisé Israël à poursuivre ses opérations contre le Hezbollah. Pour la Commission, les acquis de la guerre sont, notamment, le cessez-le-feu, et l’éloignement du Hezbollah de la frontière libanaise. Elle a dressé des compliments aux réservistes et aux soldats pour leur engagement et leur dévouement.

Notons en terminant que ce rapport, tant attendu, ne comporte pas, premièrement, « de conclusions personnalisées, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de responsabilités personnelles » et, deuxièmement, ce qui est très important, que le rapport inclut « toutes les conclusions contenues dans le Rapport intermédiaire ». Pour sa part, après avoir essuyé ces critiques plutôt réservées de la part de la commission Winograd, le Premier ministre, Ehoud Olmert, a publié un communiqué dans lequel il affirme qu’il garde toute sa confiance en « Tsahal, ses commandants, ses soldats et ses capacités ». D’après Olmert, Tsahal continue et continuera à s’entraîner, à s’améliorer, à se renforcer et à être prêt à affronter n’importe quels défis et missions.

Les couteaux ont commencé à voler au-dessus de la tête du chef du gouvernement. Le député Aryeh Eldad (Ihoud Léoumi-Mafdal) a commenté le rapport de la commission Winograd en affirmant que le Premier ministre Ehoud Olmert « occuperait dans l’histoire la place du plus mauvais dirigeant d’Israël ». Et d’ajouter : « La sentence est rendue. Les citoyens israéliens exigeront des comptes des marionnettes du gouvernement, qui permettent à un dirigeant raté et sans jugement de continuer à diriger Israël ».

(Sources : AFP, Arouts7, Cyberpresse, Guysen International News, Le Monde, Presse canadienne)

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Nicolas Sarkozy et la Société générale – président ou justicier ?

30 01 2008

La France a-t-elle une justice ? Dans l’affaire de la Société générale, le président de la France, à l’instar de l’affaire de l’Arche de Zoé, s’improvise juge et multiplie les déclarations. Le président de la grande institution française, Daniel Bouton, annonce : « Le conseil d’administration m’a demandé de rester. Bien entendu, ma proposition de démission est sur la table, le conseil d’administration décidera de l’exercer quand il le veut ». Le président de la France ajoute : « Une crise comme celle-là «ne peut pas rester sans conséquences s’agissant des responsabilités», y compris au plus haut niveau », a déclaré hier Nicolas Sarkozy. « Je n’aime pas porter de jugement personnel sur les gens, surtout quand ils sont dans la difficulté, mais on est dans un système où, quand on a une forte rémunération qui est sans doute légitime, et qu’il y a un fort problème, on ne peut pas s’exonérer des responsabilités ». Qu’il le veuille ou non, Nicolas Sarkozy a, une fois de plus, stigmatisé un président d’entreprise français qui avait, pourtant, jusque là, fait l’objet d’une confiance renouvelée de son Conseil d’administration. Ce comportement du président de la République est franchement malsain. Parce que contrairement à ses précautions oratoires, le président a bel et bien stigmatisé Daniel Bouton, ancien directeur de cabinet d’Alain Juppé, lorsque Sarkozy était ministre du Budget, entre 1986 et 1988. Le chef de l’État pousse l’outrecuidance jusqu’à plaider que l’État, n’étant pas actionnaire de la Société générale, il ne pouvait intervenir directement. Évitant les erreurs de son président, la ministre de l’Économie, madame Christine Lagarde, s’est dite « pas convaincue » qu’il faille « changer de capitaine » à la tête de la Société Générale. Selon celle-ci, il revenait « aux administrateurs » de décider du maintien ou non du PDG à son poste. La ministre a raison et son raisonnement se justifie pleinement et s’inscrit dans le respect des institutions de l’État.

Interrogé sur les propos de Nicolas Sarkozy, selon lesquels le PDG de la Société générale Daniel Bouton « ne peut pas s’exonérer de responsabilités », le président du groupe UMP, à l’Assemblée nationale, Jean-François Copé, a répondu que c’était au conseil d’administration de la banque d’apprécier. Et il a raison. Interrogé sur le sort du président de la Société Générale Daniel Bouton, le président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, (UMP), a indiqué que son éventuel départ ne pourrait intervenir que lorsque « les responsabilités seront établies ». Et il a également raison. « La France a des intérêts à ce que ce groupe financier garde sa puissance, qu’il y ait une confiance qui demeure. Laissons l’instruction se dérouler, les responsabilités être établies, chaque chose en son temps », a-t-il aussi affirmé faisant valoir que « la panique en matière financière n’est jamais bonne ». Voilà ce qu’il aurait été convenable d’entendre de la part du président de la République.

Ce que n’a vraisemblablement pas compris la ministre de la Justice.

Rachida Dati, qui s’est rapidement alignée derrière les déclarations inopportunes de son président, saisit mal en quoi consiste son rôle de ministre de la justice. Elle en rajoute une couche, pour plaire en hauts lieux. Tout en affirmant ne pas avoir « à se prononcer sur la démission de Daniel Bouton », la ministre déclare : « il est président de la Société Générale, sa responsabilité peut être engagée ». Rachida Dati est cette ministre qui a mis en place un groupe de travail sur la dépénalisation du droit des affaires qui propose, notamment, un rallongement des délais de prescription.

« Une enquête parlementaire, non », a rectifié le président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Didier Migaud, également socialiste, car « la justice est saisie, l’Autorité des marchés financiers (AMF) aussi, la Commission bancaire » également. Il a trois fois raison. Ce qu’ont feint d’ignorer Nicolas Sarkozy et Rachida Dati pour épater la galerie de la presse. « Plus on commente vite, moins on agit ensuite », a lancé, de son côté, le député UMP, Hervé Mariton (libéral). « Je constate qu’il y a beaucoup de commentaires politiques », a souligné le député. « Je ne suis pas sûr que ceux qui les font comprennent ce dont ils parlent ». Déclaration prudente et intelligente qui aurait dû inspirer le président UDF de la commission des Finances du Sénat, Jean Arthuis, avant qu’il ne déclare que M. Bouton ne peut « pas faire autrement que partir ».

Les sondages sont en baisse pour Nicolas Sarkozy. Les personnes âgées ayant voté à droite commencent à se demander si le chef de l’État, aveuglé par ses nouvelles fonctions, n’a pas oublié de revaloriser les petites pensions, écrit Metro International. […] « Bling-Bling : les traders le sont aussi généralement, du moins ceux qui gagnent des centaines de millions d’euros, ceux qui achètent la voiture de sport dernier cri avec leur prime de Noël, ceux qui font ouvrir des bouteilles de vin à 10 000 dollars dans les restaurants de New-York. Non décidemment, qu’il soit présidentiel ou boursier, le « bling-bling » n’a plus la cote, conclut le quotidien ».

Pour 52% des Français, l’action du président de la République va « plutôt dans le mauvais sens », contre 44% en décembre, selon le baromètre mensuel CSA que publiait vendredi l’hebdomadaire « Valeurs actuelles ». A l’inverse, 37% des personnes interrogées considèrent que l’action de M. Sarkozy va « plutôt dans le bon sens », soit un recul de sept points par rapport au baromètre de décembre, et de 13 par rapport à celui de novembre. Parallèlement, 49% des personnes consultées jugent positive l’action de François Fillon, soit un gain de deux points en un mois. Trente-trois pour cent (-4) se déclarent en revanche insatisfaits.

Jean-Louis Andreani, du quotidien Le Monde, écrit : « Il est rare qu’un président en début de premier mandat soit moins populaire que son premier ministre (le même baromètre IFOP l’a enregistré deux fois, en 1981 pour le couple Mitterrand-Mauroy et en 1995 pour le tandem Chirac-Juppé). Mais il est unique que cette inversion des cotes résulte, sept mois après l’élection, du croisement des courbes de popularité entre un premier ministre en hausse, certes d’un seul point, et un président en baisse ». S’agissant de Nicolas Sarkozy, Andreani poursuit son analyse en constatant que : « son usure rapide était prévisible : elle est le fruit de son extrême exposition. En choisissant de se mettre sur le devant de la scène, y compris pour les actes qui relèvent de la gestion gouvernementale au quotidien, M. Sarkozy a rendu inopérante la règle du « fusible ». Les effets négatifs de cette stratégie ont été accentués par des choix du président, qui a décidé de tout jouer sur son image personnelle avant… d’abîmer celle-ci, par rapport à celle qu’il avait réussi à construire pendant la campagne ».

Et les déclarations intempestives, irréfléchies et inconséquentes du président, dans le domaine de la justice, n’améliorent guère la situation. Selon le site Capital.fr, avec ces rumeurs de départ de Daniel Bouton – qui a toujours lutté pour l’indépendance de la banque – le marché spécule sur un changement dans la stratégie de la banque. Cette affaire a fortement affaibli la Société Générale (GLE), qui ne pèse plus que 34 milliards d’euros en Bourse, presque 2 fois moins que BNP Paribas (BNP) (60 milliards d’euros). Du coup, de nombreux scénarios sont évoqués comme le rachat, le rapprochement et même le démantèlement de la banque. Monsieur Sarkozy pourrait s’interroger sur le rôle que lui-même a joué dans cet affaiblissement de la Société générale.

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« Il y a des Noirs et des Blancs, des Latinos, des Asiatiques et des Indiens ». Il y a Barack Obama!

29 01 2008

« Il y a des jeunes et des anciens, des riches et des pauvres. Il y a des Noirs et des Blancs, des Latinos, des Asiatiques et des Indiens. […] Il n’y a pas une Amérique de gauche et une Amérique conservatrice, il y a les États-Unis d’Amérique ». Et il y a Barack Obama. Le candidat démocrate n’est pas seulement le candidat de la minorité noire mais de tous les Américains. Il se déclare comme tel. En rappel, Barack Obama a, en Caroline du sud, obtenu 55% des suffrages, devançant très largement Hillary Clinton (27%) et le troisième prétendant John Edwards (18%). Si sa victoire était attendue dans cet État, l’écart qu’il a creusé avec Hillary Clinton dépasse largement toutes les prévisions.

Il semblerait que les Clinton souhaiteraient susciter une impression de vote racial en faveur d’Obama afin de déclencher un rejet chez la majorité blanche qui s’exprimera le 5 février lors du Super Tuesday. Pour Bill Clinton, l’adversaire de son épouse est un « candidat noir ». En tant que tel, sa victoire est donc, selon Bill Clinton, similaire aux deux victoires du bouillant leader noir, Jesse Jackson, dans ce même État en 1984 et 1988. Jackson avait échoué à l’investiture. Des éditorialistes s’interrogent sur les dérives « indignes de cet ancien président ». Interrogée sur la chaîne CBS, à des propos de ces dérives de son mari, à l’encontre d’Obama, et de leurs possibles conséquences, Hillary Clinton a reconnu que son mari Bill « s’était un peu emporté ». « Mais cela arrive dans une élection très disputée », a-t-elle fait valoir.

Caroline Kennedy souhaite, dans le New York Times, un président à l’image de son père : « Je n’ai jamais eu un président qui m’a inspiré de la façon dont les gens m’ont dit que mon père les avait inspiré. Mais pour la première fois, je pense avoir trouvé l’homme qui pourrait être ce président – pas seulement pour moi mais pour une nouvelle génération d’Américains ». Tout en poursuivant : « I want a president who understands that his responsibility is to articulate a vision and encourage others to achieve it; who holds himself, and those around him, to the highest ethical standards; who appeals to the hopes of those who still believe in the American Dream, and those around the world who still believe in the American ideal; and who can lift our spirits, and make us believe again that our country needs every one of us to get involved ».

Barrack, le rassembleur! C’est ainsi qu’il veut être perçu. Après huit ans de présidence Bush et de batailles idéologiques stériles ou de guerres injustifiées, Barack Obama déclare que les Américains ont besoin qu’on leur parle de coalition et qu’on les berce de changement. Ce gamin représente à lui seul le rêve de l’Amérique. Il a gravi un à un les échelons de la société américaine pour se hisser jusqu’à la candidature à la présidence. Et comme l’écrit Isabelle Duriez, de Libération : « Obama peut remercier Bush dans ses prières. Sans lui, l’Amérique ne chercherait pas un réconciliateur, voir même un rédempteur. Un homme capable de rassembler les hommes et les femmes (un tiers des électrices ont voté pour lui et non pour elle), les Noirs et les Blancs, les bleus (démocrates) et les rouges (républicains)… Un homme qui pardonne le pêcher originel de l’esclave et qui tend à l’Amérique un miroir dans lequel elle se trouve belle, multiraciale et efficace. Un homme qui soignera la plaie béante de la guerre en Irak et restaurera l’image de l’Amérique dans le monde. Le danger, quand on incarne un tel espoir, est de décevoir ».

Après Caroline Kennedy, la fille de John F., Barack Obama est adoubé à un autre Kenney, représentant d’une autre grande « dynastie » démocrate, le vétéran sénateur Edward Kennedy, qui explique sur son blogue les raisons de cet appui. La présence des Kennedy ne suffira peut-être pas à le propulser en tête de liste du « Super Mardi ». Selon la presse américaine, M. Kennedy a basculé dans le camp Obama après avoir été ulcéré par le ton de la campagne, et particulièrement les attaques de Bill Clinton, accusé par certains d’avoir introduit le facteur racial dans le débat, comme nous l’avons déjà mentionné ci-haut. Selon le New York Times, M. Kennedy et Bill Clinton auraient eu récemment un vif échange téléphonique. Qu’à cela ne tienne, le clan Kennedy, qui conserve depuis des années une importante influence sur la vie politique américaine, est divisé sur l’investiture démocrate. La fille du sénateur Robert F. Kennedy, Kathleen Kennedy Townsend, donne son appui à la sénatrice démocrate, Hillary Clinton, qui « serait le meilleur choix possible pour la présidence ».

Au cours de ce scrutin capital, du 5 février, le « Super Tuesday », où des scrutins sont organisés dans 22 des 50 États, les hispanophones de la Californie représenteront un électeur sur quatre et joueront un rôle déterminant dans le choix du candidat démocrate. Hillary Clinton jouit d’une confortable avance de trois contre un face à Barack Obama, selon un récent sondage réalisé par l’Institut de politique publique de Californie. Ce vote hispanophone n’est pas uniforme. Les jeunes pourraient être plus attirés par le renouveau, incarné par Barack Obama, alors que les plus âgés préfèreront l’expérience d’Hillary Clinton, selon les analystes.

Les femmes, dans l’électorat américain, sont l’objet d’une cour assidue de la part des deux candidats démocrates. Elles ont joué un rôle clé dans les deux premières étapes de la course à l’investiture démocrate. Selon les sondages, toutefois, Hillary Clinton serait en tête des intentions de vote chez les femmes. La stratégie, que met de l’avant Barack Obama pour gagner le vote des femmes, est de s’assurer qu’elles connaissent bien son bilan sur des questions importantes pour elles. « Pas seulement l’égalité des droits et de salaire ou des questions comme la garde des enfants et l’éducation des jeunes enfants, mais aussi les opportunités (économiques) qui sont à bien des égards inégales », se plaît-il à souligner. Hillary Clinton, pour sa part, leur adresse le message suivant : « J’ai trouvé ma voix en vous écoutant et je vais porter votre voix à la Maison Blanche », explique sa conseillère, Ann Lewis. « Elle est le genre de leader qu’elles désirent : quelqu’un qui les entend et parle pour elles ».

Autant Hillary Clinton doit montrer qu’elle a l’étoffe d’une présidente, autant Obama doit se défendre contre des préjugés tenaces. Hillary doit se défendre contre la présence lourde et omniprésente de Bill, son mari, et du rôle que ce dernier jouerait au sein de la Maison Blanche. Cette polémique sur le rôle de Bill n’est pas anodine : certains adversaires d’Hillary Clinton, tous camps confondus, la raillent en la surnommant « Billary ». Il est vrai que l’ancien locataire de la Maison-Blanche fait activement campagne en faveur de son épouse, comme il l’a si bien démontré en Caroline du Sud.

Barack Obama est souvent vu et calomnié comme « un infiltré des islamistes radicaux qui veulent prendre le contrôle des États Unis ». Certains commentateurs n’hésitent pas à lui prêter des intentions plutôt machiavéliques : « Comme il est plus convenant d’être un chrétien lorsqu’on recherche un poste d’élu politique aux États Unis, Obama a adhéré à l’Église Unie du Christ pour bien camoufler le fait qu’il est toujours musulman », pouvait-on lire dans certains courriels diffusés en chaîne. De pareilles dérives étant inévitables, il n’est pas surprenant d’entendre des voix s’élever pour jurer que « si Obama est élu, il prêtera serment sur le Coran » et non la Bible, comme c’est la tradition aux États Unis. Il faut savoir qu’il y a environ six millions de musulmans aux États Unis. Et selon les experts, un musulman n’a presque pas de chance d’être élu à la Maison Blanche.

Avant les primaires démocrates en Caroline du Sud, qui ont donné la victoire à Barack Obama, il est intéressant de noter ce qu’en disait le South Carolina’s State qui a donné son appui au candidat noir : « Le sénateur Barack Obama nous apparaît comme le meilleur choix pour les primaires démocrates […] Monsieur Obama serait également le seul candidat capable de restaurer l’image des États-Unis à l’étranger, notamment en fermant la prison de Guantanamo qui a endommagé les valeurs morales des États-Unis ». Et pourquoi Barack Obama, au lieu d’Hillary Clinton? Voici la réponse du quotidien : « Mme Clinton a démontré qu’elle était intelligente et dotée d’une profonde compréhension de beaucoup de problèmes », écrit le quotidien avant d’ajouter « mais nous imaginons bien ce que serait une présidence Clinton ». « Le retour des Clinton à la Maison-Blanche relancerait une nouvelle vague de polémiques politiciennes. Ce ne serait pas la faute de Bill et Hillary, mais c’est ainsi ».

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François Bayrou – Présidentiable ? Oui. Futur président ? Non!

28 01 2008

L’homme paraît sympathique. Cela étant dit, il convient de ne pas généraliser. François Bayrou n’a pas, non plus, la réputation de plaire à tout le monde. Mission impossible. Il se présente comme résistant. Il invoque la mémoire du Général de Gaulle. Les Françaises et les Français le voient tout de même comme présidentiable mais ne croient pas qu’il sera, un jour, président. Ses ennemis le qualifient de narcissique. Quel homme ce Bayrou ! Il entretient des rapports étranges avec son électorat.

Il n’a jamais cédé aux sirènes du sarkozysme. À telle enseigne qu’il est vu comme un adversaire. Serait-il de la trempe des incorruptibles? Bayrou se présente à la mairie de Pau (Pyrénées-Atlantiques)? Sarkozy se pointe sur les lieux pour annoncer qu’il ne se mêlera plus des municipales des 9 et 16 mars prochains : « Je ne veux pas me mêler du détail des municipales dans chacune des villes de France, ce n’est pas mon travail », déclarait, à Pau, Nicolas Sarkozy le mardi 22 janvier dernier. Un si lourd déplacement pour une si courte déclaration! Cette visite du président de la République a été vue, pourtant, comme une ultime tentative d’isoler le candidat béarnais Bayrou. Et le ridicule a été atteint. « Il y avait trois avions, un pour les journalistes et deux Falcon 900, je ne sais combien de voitures, des forces de police dans tout Pau, douze motards en grand uniforme devant la voiture officielle, tout ça pour venir soutenir Yves Urieta, le maire-sortant ex-PS », s’est exclamé, après coup, François Bayrou devant quelques journalistes. N’eut été de la déclaration présidentielle, aurait-on pu imaginer un déploiement similaire dans les 36.000 communes qui vont élire un maire au début du mois de mars prochain? Question ironique à une déclaration ironique.

Pour ajouter à cette mascarade, Nicolas Sarkozy ne s’est finalement pas rendu à la mairie de Pau pour rencontrer M. Urieta, comme cela avait été initialement annoncé. Au grand désarroi de la population locale qui avait décoré dignement la Place. Le 8 janvier dernier, Nicolas Sarkozy n’avait-il pas rassuré le peuple de France qu’il « s’engagerait » dans ce scrutin? « Je m’engagerai, parce que le concept même d’élection dépolitisée est absurde. Je m’engagerai, à la place qui est celle du président de la République, je peux dire que le Premier ministre s’engagera, à la place qui est celle du Premier ministre, comme les ministres, pour mobiliser notre électorat », avait-il déclaré lors de sa conférence de presse de rentrée, devant 700 journalistes. Imaginons un instant Georges W. Bush, à bord de son Air force One, se rendre à Tucson, en Arizona, pour appuyer un candidat républicain local? Des deux côtés de l’Atlantique, des clameurs auraient franchi le mur du son.

Entre paranthèse, ce retrait annoncé du président, des municipales, n’a pas eu pour conséquence de nuire au candidat Schosteck (UMP) qui est arrivé, dimanche, en tête du 1er tour de la législative partielle des Hauts-de-Seine, avec 44,59% des suffrages exprimés. Le candidat socialiste, Philippe Kaltenbach, est arrivé deuxième (37,41%) et le candidat du MoDem en 3e position, totalise 7,2% des voix.

Selon un récent sondage, réalisé pour le Journal du dimanche, Ségolène Royal et François Bayrou apparaissent comme les opposants les plus crédibles à Nicolas Sarkozy, mais 63% des Français ne pensent pas que le président du MoDem puisse être élu président de la République. Ségolène Royal arrive en tête avec 28% des Français qui la considèrent comme le candidate la plus crédible devant Français Bayrou (25%), le maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë (18%) et le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) Olivier Besancenot (14%). Le défaitisme est au rendez-vous : 13% des personnes interrogées ne voient en aucune de ces personnalités un opposant crédible au président.

Qu’à cela ne tienne. François Bayrou maintient le cap. Il développe l’art de la formule pour dénoncer son et ses adversaires. « La politique du tournis, pour nous, c’est le contraire d’une vraie politique de réforme », déclarait-il début janvier. Et encore : « On a une impression d’improvisation, d’influences contradictoires, de foucades, toujours assénées sur le même ton volontariste. Mais où est la logique, où est la cohérence, où est la préparation, où est la négociation préalable? » Sur le travail et sur le pouvoir d’achat, François Bayrou a son opinion et il l’exprime : « J’imagine que si l’on supprime les 35 heures, c’est pour allonger la durée du travail. Et donc on va remplacer des heures supplémentaires, payées 25% de plus, non chargées et non imposées, par des heures normales, payées 25 % de moins, chargées et imposées ».

Rien ne résiste à François Bayrou. Il n’a pas hésité à comparer la conception de la religion du président français à celle de son homologue américain, George Bush. « C’est le retour que l’on croyait impossible en France du mélange des genres entre l’État et la religion. […] Nicolas Sarkozy affiche chaque fois qu’il le peut sa complaisance avec le matérialisme financier et, en même temps, souhaite faire de la religion une autorité dans l’espace public. […] Cela s’est déjà produit dans l’histoire. Aujourd’hui par exemple, chez Bush ».

Au lendemain de la signature d’un accord, sur l’installation d’une base militaire stratégique française aux Émirats arabes unis, François Bayrou rebondit en déclarant : « L’annonce par le président de la République, sans aucune réflexion publique préalable, sans information du Parlement, que la France allait ouvrir une base militaire interarmes sur les rives du détroit d’Ormuz, constitue un changement très grave de la doctrine et de l’attitude de la France dans cette région. La nature même de cette région, les risques qui sont encourus mettent la France en situation d’être entraînée malgré elle dans un conflit ou dans une succession de tensions très dangereuses », avertit François Bayrou qui voit dans cette initiative la volonté d’intégrer la France dans les concepts géostratégiques américains.

S’il distribue des coups de bâton, François Bayrou en reçoit également. Plusieurs lui reprochent, en se présentant à Pau, de ne pas avoir rejeté le cumul des mandats : il invoque le fait que ses adversaires n’y ont pas, eux-mêmes, renoncé. Cette position de faiblesse pourrait le desservir fort mal. Ses adversaires politiques le jugent sévèrement : « François Bayrou a le génie pour faire le vide autour de lui et que tous ceux qui ont collaboré depuis de longues années à son projet sont partis les uns après les autres », déclarait à son encontre le secrétaire général de l’UMP, Patrick Devedjian. Le ministre de la Défense, Hervé Morin, le président du Nouveau Centre, déclarait au début du mois de décembre, qu’il voyait dans le nouveau Mouvement démocrate (MoDem) de François Bayrou un « radeau de la Méduse », symbole de la « dérive personnelle totale » du dirigeant centriste.

Là où le bât blesse, c’est lorsque les critiques viennent de l’intérieur. Emmanuelle Caminade est institutrice avec une formation juridique. Elle déclare avoir adhéré, pour la première fois, à un parti suite à la campagne présidentielle de François Bayrou. Elle semble déçue. Elle écrit, sur son blogue – France démocrate – : « Force est de constater que la construction de ce nouveau parti n’a rien d’exemplaire ». Elle donne en exemple le déroulement du Congrès fondateur : « Les premiers signes de dérapage apparaissent lors du Congrès fondateur. Ce dernier voit le candidat à la présidence de ce parti diriger lui-même les débats sur l’adoption de ses statuts. A cette occasion, nombre de nouveaux adhérents venant de recevoir la carte qui leur « permettrait de voter à distance » découvrent avec stupeur qu’ils sont exclus du vote ».

Madame Caminade en vient à poser deux questions au chef fondateur du Modem : « Monsieur Bayrou, les adhérents qui se sont engagés derrière vous sont en droit de vous poser deux questions :

  • votre but est-il toujours d’entrer dans l’ère d’une authentique démocratie fondée sur la séparation des pouvoirs?
  • le but principal du Mouvement Démocrate est-il toujours la promotion d’une génération politique nouvelle?

Ces questions seront-elles suivies de réponses du principal intéressé? Nul ne sait. Si François Bayrou s’inquiète de la concentration des pouvoirs entre les mains du président, et dénonce un régime « monarchique », s’il déplore cette « dérive de la Ve République », il doit être le premier à prêcher par l’exemple au sein de son propre parti, le Modem. L’homme, pour sympathique qu’il puisse être, doit regagner la confiance des Français qui le voit présidentiable mais non président. Tout un dilemme. Toute une côte à remonter.

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« Qui veut se connaître, qu’il ouvre un livre » – Jean Paulhan

27 01 2008

Je ne suis pas un critique littéraire. Je n’ai pas, dans la rareté de mes talents, cette belle culture des livres d’un Pierre Assouline, dans la République des livres. Mes lectures sont éclectiques. La curiosité est ce qui me guide le plus souvent dans mes choix. Que ce soit en musique ou en littérature, une lecture rapide, furtive, improvisée est parfois suffisante pour me donner envie de posséder la « divine chose ». Dès la prise en main de l’œuvre, je réalise avec bonheur le ravissement qu’elle va me procurer, ou avec horreur, la déception incommensurable que je vais ressentir. Il y a une grande part de hasard que je ne dédaigne pas.

Trois livres reposent sur ma tête de chevet. Un premier vient du Québec : la biographie de Pierre Bourgault, homme politique québécois, signé Jean-François Nadeau (Édition Lux, 2007). Ce livre permet de revivre un pan entier de l’histoire du Québec, sa révolution tranquille et son éveil au monde. Parcourir ce livre, c’est un ravissement car plein de réminiscences pour un lecteur qui a traversé les mêmes âges et les mêmes courants. Les deux autres livres viennent de France. De Philippe Claudel, Le rapport de Brodeck (Édition Stock, 2007). J’avais le goût de lire ce bouquin pour la raison que l’auteur est venu au Québec, que c’est un livre qui a raté de peu le Goncourt, que les critiques au Québec en ont fait l’éloge, et que son approche mystérieuse, presque mystique, avait tout pour me séduire. « Il nous faut aussi apprendre non pas à oublier le passé, mais à le vaincre, en le reléguant pour toujours loin de nous, et en faisant en sorte qu’il ne déborde pas dans notre présent, et encore moins dans notre avenir ».

Le dernier livre, dont je voudrais parler ici, est Charlémoi, de Christine Jeanney (Éditions ArHsens, 2007). Il n’est pas vendu au Québec. C’est dire que je l’ai commandé directement de la maison d’édition (vive l’Internet !). Je n’ai su, au point de départ, que peu de choses de ce livre, avant de le commander. Ma curiosité (toujours cette curiosité) est venue du fait que l’auteure, Christine Jeanney, est également auteure d’un blogue parmi les meilleurs que j’ai pu parcourir depuis ma propre intrusion dans la blogosphère : Le blog de Posuto. J’ai terminé la lecture de ce livre.

Je vous ai indiqué, dès le point de départ, n’être pas un critique littéraire. J’ai parcouru ce roman par petites doses. Par chapitres. Je suis entré par progression dans la vie d’Édouard Prince. Ne vous attendez pas à ce que je vous dévoile toute la trame de ce roman. Personnellement, j’abhorre qu’un lecteur me dévoile le contenu d’un roman au point où, au moment où il me tombe dans les mains, toute la magie de la découverte s’est estompée. Les chapitres sont brefs. Finement ciselés. Détails superflus, exclus ! Sa lecture pourrait se faire en deux heures ou en quelques jours, le temps de réfléchir sur chacun des chapitres. La forme narrative n’a en rien interrompu le rythme des phrases, les dialogues, l’humour, les tons graves. Ce livre introspectif a su trouver une facture qui n’a, à aucun moment, distillé un certain ennui ou une lassitude.

« J’ai bien travaillé, j’ai bien dormi, du coup j’ai bien mangé. Je suis rempli de vie aujourd’hui. C’est ce qui s’appelle une phase de rémission. Je prends. Si j’osais, je ne prendrais que les phases de rémission, un tri pas possible. Tous les canards de l’hémisphère nord peuvent se tailler au sud et les brochets manger du veau cru en tranche, peu me chaut. Je suis beaucoup plus vivant depuis que j’ai écrit la mort de Charles. Ma mère l’avait appelé Charles en hommage à Baudelaire, le pilote d’avion. Et il était monozygote, comme moi ».

Vous l’aurez compris. Le roman est écrit à la première personne du singulier. En forme de monologue, peu ennuyeux, l’auteur nous fait pénétrer lentement dans le monde d’Édouard et de son « moi ». Attention, ce « moi » n’est peut-être pas celui auquel vous vous attendez. J’apprécie le fait que la vie d’Edouard est scandée par des choix musicaux : « Quand j’écris, j’aime bien Mozart et Brahms. Et pour manger ou pour dormir, j’écoute la radio. Je ne supporte pas le silence ». Dans ce roman, j’ai retrouvé le ton léger de certaines œuvres de Mozart et le côté sombre et lourd de Brahms. Et rien n’appartient à un passé obsolète. La radio fait le rappel des rythmes modernes qui animent toute une jeunesse.

Edouard résume dans cette phrase un peu sa vie : « Dans quelques librairies – je le sais, je les ai toutes écumées – je trouve mes livres pour enfants, et en prime les deux polars anglais dont je suis le traducteur officiel ; c’est mon nom écrit sous celui de l’auteur, moi, l’auteur des sous-titres de l’inspecteur John Benneth, La Vasque rouge et Autour de la tulipe jaune ». Écrivain pour enfants, il est aussi traducteur de livres. Sa vie, tel un bateau au milieu de l’océan, tangue tantôt vers l’optimisme, tantôt vers le pessimisme. Tantôt vers le refus de la vie. Tantôt vers une acceptation. Son drame : il n’a pas, encore, à ses yeux, écrit l’Œuvre de sa vie. Edouard n’est pas unique. Le drame de l’écrivain. Le drame d’une vie. Et qui est, au fait, Charles ? Charles et moi ? Et pourtant. Et pourtant, ce roman n’a rien d’un roman noir, glauque, lugubre. La lumière en traverse chacune des phrases. L’humour est présent. L’émotion, également. Surtout, l’émotion.

« Et puis écrire. J’ai perdu d’avance. Tous les mots sont usés par tout le monde. Ils sont comme des perles que d’autres enfilent en rivières rutilantes, en parures, en diadèmes; mon collier est minable, pas de fermoir qui tienne et des perlouzes tachées, disparates et mal assorties du verre, dépoli à la hâte. […] Alors ma parade, c’est le refus. Je ne suis pas unique et je n’écris que pour moi, je refuse la compétition avec mes contemporains et les contemporains de mes chers disparus, tous ces auteurs que j’aime, que j’ai aimés, que j’aimerai. Je refuse ce concours du plus beau château de sable. J’écris comme lui ? Tant pis. Ce sont ses phrases ? Pas grave, je n’écris que pour moi. Je ramène le sable sous mes fesses, je creuse une douve, c’est bon, la marée ne montera pas avant… avant un moment ».

En quelques phrases, j’ai tenté de cerner le personnage central de Charlémoi. Sans trop en dévoiler le détail, mais suffisamment pour distiller chez le lecteur futur la même curiosité qui m’a fait prendre une bonne décision. Et puis pourquoi ne pas conclure par cette remarque savoureuse de l’auteure, Christine Jeanney : « Au fond, j’aime les livres. Même les récalcitrants, ceux qui me font faire machine arrière […] J’aime les livres respectables, leurs torses bombés, par un s qui manque, le subjonctif où il se doit … Travail d’orfèvre. Un livre d’Artisan d’Art qui se sert d’outils ancestraux dont j’ignore jusqu’à l’existence du nom ». Christine Jeanney aime les mots. Nous aussi. Christine Jeanney aime les livres. Nous aussi.

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