La plus grande puissance militaire du monde ne parvient pas à mater l’insurrection en Afghanistan. Un an après avoir accepté d’envoyer 30 000 hommes supplémentaires sur place, Barack Obama se fait dire, dans une lettre ouverte signée par quarante-trois des plus éminents spécialistes de la région, qu’il est urgent d’abandonner la stratégie militaire pour entamer des négociations avec les Taliban. Le constat qu’en tirent ces experts est clair : les offensives militaires ont tourné à l’échec et seul un accord avec les dirigeants de l’insurrection permettrait aux Américains de se retirer tout en préservant leurs intérêts. Barack Obama émet pour sa part un avis contraire : dans une lettre adressée mercredi à des parlementaires, le président américain a estimé que sa stratégie afghane produisait des progrès graduels et que les forces de la coalition continueraient de suivre son approche. Que pouvait-il dire d’autre? Et rien n’indique une remise en cause de la volonté d’Obama de rapatrier une partie des troupes envoyées en renforts à compter de juillet prochain.
C’est le célèbre journaliste d’investigation Bob Woodward, connu pour son rôle dans le scandale du Watergate, qui avait attribué cette citation à Richard Holbrooke, qui vient de nous quitter : « S’il y a dix issues possibles en Afghanistan, neuf d’entre elles sont mauvaises ».
Ces experts font un autre rappel, douloureux celui-là : Depuis début 2010, 692 soldats et officiers des contingents de l’Otan, de l’ISAF et des États-Unis ont été tués dans le pays, la guerre coûte 120 milliards de dollars par an au seul budget américain et, surtout, sur le terrain, la situation empire pour les forces de la coalition. La force est constituée de 150 000 soldats dont les deux tiers sont américains. Selon l’Onu, 1.271 civils ont perdu la vie au premier semestre 2010 en Afghanistan, en hausse de 21% par rapport à 2009. Comme si cette guerre ne pouvait entrevoir de fin, le général Josef Blotz, porte-parole de la force internationale de l’Otan en Afghanistan (Isaf), prévenait depuis Kaboul que les soldats étrangers engagés dans ce conflit seront confrontés en 2011 à plus de violence des talibans. « Il y aura toujours des combats, et nous devons maintenir la pression sur les talibans ». Le commandant en chef américain des forces internationales en Afghanistan, David Petraeus, a estimé que 2014, date annoncée pour le passage de relais de la sécurité du pays aux forces afghanes, était une « perspective raisonnable », mais qu’il n’y avait « rien de certain ».
À cette stratégie de l’ISAF, les experts répondent : « A cause de la violence des opérations militaires, nous (y) perdons la bataille des cœurs et des esprits. Et les pertes rebelles sont compensées par des nouvelles recrues souvent plus radicales que leurs prédécesseurs ». Selon ces derniers, les Occidentaux n’ont et n’auront d’autre choix que de « trouver un accord » avec le commandement taliban – d’autant plus que celui-ci a selon eux « affiché une volonté de discuter » – qui permettrait aux Américains « de se retirer tout en préservant leurs légitimes intérêts sécuritaires ».
Selon un sondage réalisé par ABC News, BBC, ARD et le quotidien Washington Post, et rapporté par Ria Novosti, seulement 36% de personnes afghanes interrogées se sont déclarées confiantes en la capacité des États-Unis et de l’Otan à assurer la paix et la stabilité dans le pays, ce qui représente une baisse de 12% par rapport aux résultats du sondage de 2009 et de 31% par rapport à ceux de 2006. Et 73% de personnes interrogées sont pour le début de négociations avec les talibans, soit 13% de plus que l’année 2008. Une autre enquête réalisée en août par la chaîne de télévision CNN montre que 57% des Américains se disent « opposés » à la guerre en Afghanistan contre 54% il y a un mois, 48% au mois de mai et 46% au mois d’avril. Et 36% estiment que les États-Unis sont en train de perdre cette guerre. Seuls 42% des personnes interrogées se disent désormais « favorables » à la guerre, un point de plus que le mois dernier (41%), mais moins que les 50% du mois de mai et les 53% du mois d’avril. Qui plus est, 62% des personnes interrogées estiment que la guerre n’est pas en train d’être gagnée par les États-Unis, un chiffre légèrement inférieur à celui du mois de février 2009 (64%).
En France, 70 % de la population sont opposés à l’intervention militaire française dans ce pays. Et 58% sont pour le retour de la France, entre 27 et 37% contre, et 21% sans opinion. À cela, le président Sarkozy répond : « La France restera engagée en Afghanistan, avec ses alliés, aussi longtemps que nécessaire et aussi longtemps que le souhaitera le peuple afghan ». Contrairement aux États-Unis ou à la Grande-Bretagne, la France ne compile pas de statistiques officielles sur la détresse de ses soldats de retour d’Afghanistan. Et pourtant, selon le lieutenant-colonel François-Xavier Marchand qui dit regretter cet état de fait, la proportion de militaires français qui souffrent de problèmes psychologiques est la même qu’aux États-Unis. En revanche, le nombre de suicides dans l’armée reste chez nous inférieur à celui des civils.
Wikileaks frappe fort. Fin 2008 l’ancien Premier ministre australien, Kevin Rudd, considérait que la contribution de l’Allemagne et de la France dans la lutte contre les talibans en Afghanistan se résumait à « organiser des festivals de danse folklorique », comme l’ont montré des télégrammes diplomatiques diffusés par le site. Aujourd’hui ministre des Affaires étrangères, monsieur Rudd s’était à l’époque montré impitoyable : « Dans le sud-est, les Etats-Unis, le Canada, la Grande-Bretagne, l’Australie et les Pays-Bas faisaient le dur boulot, alors que dans le nord-ouest, plutôt tranquille, les Allemands et les Français organisaient des festivals de danse folkloriques ».