Il existera toujours un doute sur le simulacre de procès qui a mené Omar Khadr à se déclarer coupable du meurtre du soldat Chris Speer. Il existera toujours un doute sur la culpabilité forcée ou volontaire d’Omar Khadr qui à quinze ans a été enfermé à Guantanamo, ne bénéficiant d’aucun statut, d’uucun droit, d’aucune reconnaissance d’enfant-soldat. Nullum crimen, nulla poena sine lege. Il a même été oublié par son pays, le Canada, qui s’est rangé honteusement derrière les États-Unis en participant directement aux tortures morales infligées à un jeune homme de 16 ans pour obtenir insidieusement des aveux. La sentence du tribunal militaire d’exception sera prononcée ce samedi. Sans que justice n’ait été rendue.
Il n’existera aucune certitude sur la culpabilité d’Omar Khadr devant la décision du juge militaire Patrick Parrish d’admettre en preuve des aveux extorqués de manière scandaleuse. Selon ce militaire, le jeune Omar Khadr n’a jamais été torturé par ses geôliers ou ses interrogateurs américains. Il faut préciser qu’à la fin du mois de mai 2008, le Pentagone avait remplacé le juge militaire qui entendait la cause de Khadr après qu’il eut critiqué le gouvernement pour ne pas avoir transmis les documents liés aux traitements qu’a subis Khadr à Guantanamo. Par sa décision, le juge militaire Parrish, plus conforme aux directives du gouvernement des États-Unis, a bafoué les conventions internationales qui accordent une protection spéciale aux enfants impliqués dans des conflits armés et que les tribunaux internationaux refusent de les poursuivre. Il a nié les droits d’Omar Khadr à une défense pleine et entière pour des motifs militaires, ignorant les règles élémentaires de droit et de justice. Ce déni des droits humains a été reconnu par la Cour suprême du Canada.
Le juge Parrish n’a pas pris en compte le témoignage d’un soldat qui a admis que des tortures ont été exercées sur le jeune Khadr. Le réseau anglais de Radio-Canada avait, dès 2008, retrouvé Damien Corcetti, le premier soldat américain qui a interrogé le jeune homme, en Afghanistan. « Avec le recul, je peux maintenant dire que c’était vraiment de la torture », admet M. Corcetti, qui a quitté l’armée américaine depuis. Jane Mayer, correspondante à la revue New Yorker, a expliqué en 2008, à Radio-Canada, avoir épluché les documents du département américain de la Justice. « Pour qu’il y ait torture, il faut causer une douleur qui entraîne soit la défaillance d’un organe ou une mort appréhendée. Tout le reste n’était pas de la torture », expliquait la journaliste. Cela explique sans doute pourquoi les États-Unis n’ont jamais voulu adhérer au Statut de Rome qui dicte les règles du Tribunal pénal international.
Pendant tout ce temps, le gouvernement du Canada, en refusant d’intervenir pour protéger les droits d’Omar Khadr, citoyen canadien, emprisonné à Guantanamo, s’est fait complice du mauvais trraitement qui lui a été infligé. M. Harper a toujours refusé de s’impliquer dans cette affaire, stipulant que Khadr faisait face à de sérieuses accusations et que les procédures légales aux États-Unis devaient suivre leur cours. Le gouvernement du Canada, comme il a été démontré depuis, savait pertinemment qu’Omar Khadr était soumis aux méthodes d’interrogation surnommées « stress et contrainte ». Les trois agents canadiens du SCRS ont même procédé à un interrogatoire d’Omar Khadr, digne des méthodes de Guantanamo, qui venait de subir des privations de sommeil abusives en violation de la Convention contre la torture et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants et des Conventions de Genève de 1949. Au terme de ce pénible et éprouvant interrogatoire qui a duré, en février 2003, quatre jours, l’agent canadien du SCRS reproche à Omar de ne pas dire la vérité. Omar Khadr réplique tout simplement : « vous n’aimez pas la vérité ».
Dans son témoignage devant ce tribunal d’exception de Guantanamo, Omar Khadr a révélé que les interrogateurs américains l’avaient menacé en 2002 d’un viol collectif dans une prison américaine, aux mains de quatre « gros noirs » détenus patriotiques. Que valent ces paroles d’un enfant de quinze ans qui, huit ans plus tard, intervient auprès d’un jury composé exclusivement de militaires : « Je vous demande de considérer cette lettre sur ce qui m’est arrivé à Bagram en 2002. Il est difficile pour moi d’en parler. Je sais que cela ne change rien à ce que j’ai fait, mais j’espère que vous y penserez lorsque vous me punirez. Cette histoire m’a fait très peur et j’ai beaucoup pleuré ». Pour le juge Patrick Parrish, ce ne sont pas là des tortures, telles que définies par les règles internes des États-Unis.
Aujourd’hui Omar Khadr s’est accusé d’avoir lancé la grenade qui a coûté la vie à un soldat américain lors de combats en Afghanistan en 2002. Témoignant lui-même, dans son procès, le jeune détenu s’est adressé jeudi à la veuve du soldat Chris Speer. Après avoir présenté ses excuses, il a répondu, à une question de son avocat : « J’aurais souhaité pouvoir faire quelque chose pour effacer cette douleur ». Omar Khadr a expliqué qu’il a compris en prison la « beauté de la vie » et qu’il souhaite devenir médecin afin de « soulager les autres de la douleur ».
Tabitha Speer, veuve du soldat tué en Afghanistan par Omar Khadr, s’est adressée directement à l’accusé : « Omar Khadr avait un choix à faire le 27 juillet 2002. Il pouvait se rendre (…), mais il a choisi de rester et de se battre. Tout le monde parle de lui comme d’une victime, d’un enfant. Les victimes, les enfants, ce sont mes enfants, et pas vous ». Sans minimiser la peine de madame Speer, elle n’a manifesté aucune pensée pour les 600 soldats étrangers tués depuis le début 2010 en Afghanistan, pour les 2.170 soldats de la coalition internationale tués en Afghanistan depuis le début de l’intervention militaire menée par les États-Unis qui a chassé les talibans du pouvoir à la fin 2001, pour les 1.348 soldats américains qui composent plus des deux tiers des quelque 150.000 hommes de la coalition, pour les 109.032 morts en Irak, dont plus de 60% de civils, soit 66.081 personnes. Parmi toutes ces personnes, se peut-il qu’il y ait eu des enfants et des pères et des mères innocentes des politiques interventionnistes des États-Unis et de leurs milliers de mensonges pour justifier ces guerres? Et c’est sur un enfant-soldat que les États-Unis et le Canada font porter toute la lâcheté de ces guerres, fondées sur des mensonges éhontées, et menées à des fins autres que celles annoncées. Les enfants de madame Speer ont raison de déplorer la perte de leur père, parti en guerre en Afghanistan, vraisemblablement le cimetière de l’OTAN, comme l’écrivait William Pfaff le 22 mai 2007, dans l’International Herald Tribune. Ce père a probablement cru en une cause qui n’a plus de nom tant le déshonneur et la désorganisation en sont les principales caractéristiques.
Qui, devant ce tribunal militaire d’exception, se montrera soucieux du fait que, comme l’indique la haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Navanethem Pillay, les informations, dévoilées tout récemment par Wikileaks, renforcent les « inquiétudes » sur ces graves violations de la législation internationale qui ont eu lieu en Irak, dont des exécutions sommaires de plusieurs civils? Qui s’est montré préoccupé, devant le tribunal militaire d’exception, par le fait que les États-Unis ont continué à transférer des milliers de détenus aux autorités irakiennes, même si elles savaient qu’ils étaient torturés. Devant quels tribunaux seront traduits, si tant est qu’ils sont identifiés et accusés, ces « responsables d’homicides illégaux, d’exécutions sommaires, de torture et d’autres graves atteintes aux droits de l’homme »?
Stephen Harper, Premier ministre du Canada a fermé les yeux puis nié ces transferts de prisonniers en Afghanistan qui étaient menés droits à la torture. Cela explique pourquoi il peut se permettre de fermer les yeux devant le cas d’Omar Khadr. Cet Afghanistan, vraisemblablement le cimetière de l’OTAN, comme l’écrivait William Pfaff le 22 mai 2007, dans l’International Herald Tribune.