Quel prix faut-il payer pour être colistier aux États-Unis ?

3 09 2008

Une première question me vient l’esprit lorsque je constate les débordements de la presse américaine à l’égard de la colistière de John McCain, Sarah Palin : pourquoi cette dernière a-t-elle accepté l’offre du candidat républicain ? Tout militait pour un refus poli mais ferme.

Qu’elle soit une femme de carrière, personne n’en disconviendra. Il suffit de lire l’article de Newsweek publié en version française dans le Nouvel Observateur. J’en retiens ceci : « Palin est représentative de l’Amérique moyenne. Elle se dit elle-même « hockey mom », ces femmes qui accompagnent leurs enfants au hockey (version plus musclée des « soccer mom », qui avaient contribué à l’élection de Bill Clinton en 1992). Elle réussi à jongler pour concilier la vie de ses cinq enfants (le dernier, né atteint du syndrome de Down, a moins de 5 mois) avec son poste de gouverneur de l’Alaska ».

Pour exemplaire que soit le parcours de madame Sarah Palin, il n’en demeure pas moins qu’accepter une invitation de colistière de John McCain n’était pas sans risques. Le premier risque réside – comme c’est souvent le cas en Amérique – dans la curiosité de la presse à sensation. Il convient de passer en revue quelques uns des résultats de ces « investigations journalistiques ». Certaines sont rondement menées, d’autres relèvent des ordures qui ont l’heur d’être une profonde injustice pour une famille qui n’a certes pas souhaité de se voir ainsi propulsée à l’avant-plan de l’actualité mondiale. La famille traîne son lot de casseroles.

Le Washington Post révèle que Sarah Palin aurait fait appel à une entreprise de lobbying pour obtenir 27 millions de dollars de fonds fédéraux pour la seule ville de Wasilla, en Alaska, dont elle était maire de 1996 à 2002. John McCain n’avait pas hésité à montrer sa colistière comme un soutien dans sa lutte contre les gaspillages de l’État fédéral.

Madame Sarah Palin est diplômée en journalisme. Quelques temps avant sa nomination au poste de colistière, elle était interrogée sur CNBC sur les rumeurs suivant lesquelles madame Palin pourrait être choisie par John McCain pour occuper le poste de vice-présidente. Madame Palin, en réponse, s’interroge plutôt sur le rôle que doit jouer un vice-président au sein d’un gouvernement américain. Sa réponse en a laissé plus d’un pantois : « Je ne peux toujours pas répondre à cette question tant que quelqu’un ne pourra pas répondre à la suivante: mais que fait réellement le vice-président au quotidien? J’ai l’habitude d’être très active, de travailler dur ».

Autre fait troublant. Walt Monegan, commissaire à la sécurité publique, aurait été limogé par la gouverneure de l’Alaska. Une commission d’enquête parlementaire est en cours et l’objet est d’infirmer ou de confirmer l’excès de zèle de madame Palin dans cette affaire. Selon Walt Monegan, il aurait été remercié parce qu’il aurait refusé d’exécuter l’ordre de congédier l’officier de police, Mike Wooten, un ex-beau frère qui se trouvait à l’époque dans une procédure de divorce litigieuse avec la sœur de Sarah Palin. Mike Wooten avait utilisé un Taser sur Payton, le fils de sa femme, et il aurait été réprimandé pour de nombreuses violations des lois et règles départementales depuis décembre 2001.Népotisme. Madame Palin aurait utilisé ses pouvoirs pour régler une affaire familiale.

Des avocats auraient été dépêchés de toute urgence en Alaska pour dénouer le mystère Palin. Le Parti républicain sent bien le vent tourner et les questions reprendre des allures de chassé-croisé dont les conséquences seraient particulièrement négatives sur la candidature de John McCain. Selon le quotidien The New-York Times, McCain aurait scellé son choix quelques jours seulement avant l’annonce officielle aux médias par le camp républicain.

L’expérience politique de madame Palin n’est que de deux ans. Elle occupe le poste de gouverneure de l’Alaska que depuis deux ans. Et elle est pressentie pour remplacer le président des États-Unis d’Amérique en cas de défaillance, de maladie ou de mort de ce dernier. C’est là une des décisions les plus capitales et les plus stratégiques que doit prendre un candidat à la présidence du pays. John McCain, faut-il le rappeler, sera, à 72 ans, le plus vieux candidat à assumer la présidence du plus puissant pays du monde.

Il y a quelque chose de malsain au pays de John McCain. Parce que Sarah Palin est opposée au droit à l’avortement et à l’éducation sexuelle, croit-il vraiment gagner le vote des femmes de droite ? Ultra conservatrice, proche des chrétiens fondamentalistes, partisane de l’enseignement du créationnisme, prêchant pour l’abstinence sexuelle en dehors du mariage et résolument hostile au droit à l’avortement, pour quelque raison que ce soit, Sarah Palin aura beaucoup de mal à montrer qu’elle prêche par l’exemple.

Voilà où le bat blesse. La vie privée de Sarah Palin est maintenant étalée sur la place publique. Des violations du permis de pêche, à la citation à comparaître de son mari, il y a vingt-deux ans, pour conduite en état d’ivresse, son fils de 18 ans qui s’envolera pour l’Irak le 11 septembre prochain, tout y passe. Pour John McCain, le processus de sélection de sa colistière a été mené « consciencieusement » et il est « satisfait » du résultat. Que faut-il penser du processus de décision du côté de Sarah Palin qui, en toute connaissance de cause, se savait ciblée par la presse et qui a fait en sorte que sa vie privée, celle de son mari, de ses enfants, de sa vie professionnelle, sont maintenant étalées au vu et au su d’un public avide de sensationnalisme ?

Première information que je qualifierais de triste : madame Palin a dû confirmer que sa fille de 17 ans était enceinte de cinq mois de son copain Levi. « Notre merveilleuse fille Bristol nous a annoncé une nouvelle dont nous savions, en tant que parents, qu’elle la ferait grandir plus vite que nous ne l’avions prévu ». Bristol, âgée de 17 ans et célibataire, est enceinte de cinq mois. Sarah Palin a également admis avoir voulu, en toute connaissance de cause, mettre au monde un enfant trisomique. Qui plus est, des blogs démocrates auraient suggéré que Bristol – en plus d’être enceinte – serait la mère du dernier-né de la famille, le petit Trig, âgé de 5 mois. Les parents ont dû émettre un communiqué pour préciser leur position de parent dans cette « affaire privée » : « Alors que Bristol doit assumer les responsabilités de l’âge adulte, elle sait qu’elle peut compter sur notre amour et notre soutien inconditionnels ». Et le communiqué a précisé que Bristol garderait l’enfant et allait épouser le père. La famille a demandé à tout le monde de « respecter la vie privée de la famille ». Il me semble que c’est un peu tard. Nous sommes loin des principes ultraconservateurs de l’abstinence avant le mariage. Toutefois certains républicains se raccrochent à cette vérité toute politique : « si elle avait été démocrate sa fille aurait avorté ». Bonnie Fuller, du Huffington Post, a ce mot terrible pour qualifier la décision de Sarah Palin : « la colistière a choisi d’exploiter la maternité de sa fille de 17 ans ».

Il y a quelques jours, à peine, avant cette déferlante de révélations, Karl Rove qualifiait Sarah Palin « une bouffée d’air frais ». Tout en admettant que ce choix n’était pas : « a governing decision but a campaign decision ». D’autres, comme Rove, croient que Sarah Palin « est remarquablement normale ». Plusieurs ne partagent plus ce point de vue. Les impacts sont à ce pont négatifs que les républicains en sont rendus à s’en prendre aux médias américains qu’ils accusent de rouler pour Barack Obama. Sur la fraîcheur de Sarah Palin, comme le fait remarquer très justement Rue89, « chaque mention des 44 ans et de la jeunesse de Sarah Palin est une occasion de rappeler les 72 ans de McCain ».

La presse, toujours à la recherche d’une image qui frappe l’imagination, parle du « babygate ». Sarah Palin a plusieurs fois répété qu’elle était contre le financement des programmes d’éducation sexuelle à l’école, prônant plutôt l’abstinence. Ben Smith, de Politico, souligne une nouvelle réalité qui frappe de plein fouet la colistière de John McCain : « her daughter’s pregnancy has cast her views on teenagers and sex directly into the spotlight ». Toutefois, tempère ce même blogue, parmi les plus sérieux et les plus crédibles de l’Amérique, ces casseroles dans la vie de Sarah Palin pourraient aider plutôt que blesser. Pour Politico : « D’une certaine façon, ils [ces nouveaux détails] pourraient souligner le fait qu’elle n’est remarquablement pas remarquable ». La Tribune de Genève aborde cette même question un peu différemment. C’est le moins qu’on puisse dire.

(Sources : AFP, Cyberpresse, Drudge Report, Huffington Post, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, Le Monde, New York Times, Politico, Washington Post)


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12 responses

3 09 2008
Gilles

Pierre a écrit :
Madame Palin aurait utilisé ses pouvoirs pour régler une affaire familiale.

Le président Sarkozy, lui, utilise son épouse pour régler des affaires d’État (la libération des infirmières Bulgares, l’accueil du Grand Lama récemment), quoique ce ne soit pas tout à fait comparable. Bref, les Grands de ce monde ne distinguent pas vie privée et fonctions officielles.

Pierre a écrit :
John McCain, faut-il le rappeler, sera, à 72 ans, le plus vieux candidat à assumer la présidence du plus puissant pays du monde.

Je ne crois pas qu’il soit déjà élu ?
 

3 09 2008
Pierre Chantelois

Gilles

Entièrement d’accord. Il y a une telle promiscuité entre vie privée et vie publique que la frontière est poreuse. Quiconque le souhaite peut s’y inviter pour la scruter. Un peu gênant, non ?

Je ne crois pas non plus que John McCain soit élu. Du moins pas encore 🙂

Depuis la convention démocrate, Obama semble être parvenu à s’imposer dans une course à la présidentielle jusqu’ici très serrée. Barack Obama et son colistier Joe Biden obtiendraient désormais 48% de votes favorables contre 40% pour John McCain et Sarah Palin.63% des personnes interrogées pensent qu’Obama comprend ses besoins et ses problèmes, contre seulement 41% pour McCain. Notons que c’est le tout premier sondage réalisé par CBS qui prend en compte les vices-présidents potentiels. (7sur7)

Pierre R.

3 09 2008
Dominique Hasselmann

La co-listière est le boulet que va devoir traîner John McCain : Obama ne peut que se féliciter de ce choix aberrant !

3 09 2008
Françoise

Pierre,
 
L’étalage des vies privées des « importants’, parfois jusqu’à l’écœurement, a toujours été, me semble-t-il, de mode aux USA. Un peu moins chez nous jusqu’à ces dernières années, mais nous y venons.

J’y vois cependant un côté positif — lorsque cet étalage n’est pas, comme le font par exemple Mme et Mr Sarkozy, une belle mise en scène — : On apprend par ce biais que ces personnes qui veulent se montrer pleines de vertus et de qualités ne sont en fait pas si vertueuses qu’elles veulent nous le faire croire. Il me semble que les citoyens sont en droit de savoir à qui ils ont à faire. D’autre part, à partir du moment ou l’on devient un personnage public, et que l’on postule à de hautes fonctions on sait qu’on s’expose au pire et au meilleur des médias.

« D’une certaine façon, ils [ces nouveaux détails] pourraient souligner le fait qu’elle n’est remarquablement pas remarquable. »

Je ne sais pas trop si n’être pas trop remarquable est un bon point pour une peut-être-future vice-présidente des États-Unis. Il me semble que cette fonction nécessiterait une personne remarquable par ses qualités, et non un « clône » du parfait américain d’extrême-droite…

3 09 2008
Pierre Chantelois

Dominique

En effet. Cette décision pèsera lourd dans la balance de John McCain. Sa remontée dans les sondages sont certes les conséquences des lendemains du congrès démocrate mais il faudra surveiller la tendance.

Françoise

Je vous rejoins. Toutefois, ce qui m’attriste particulièrement est le fait que Bristol, la jeune fille de Sarah Palin, n’avait certainement pas besoin d’une telle publicité autour de sa personne pour mener à terme sa maternité. En ce qui concerne madame Palin, elle-même, ce que j’ai lu pour rédiger le présent article ne m’édifie guère. La dureté de ses positions sur l’avortement, l’éducation sexuelle, l’homosexualité et autres la dépeint comme une femme froide, calculatrice et volontaire.

Il existe même un site sur Internet pour ceux ou celles qui veulent prédire le temps qu’elle restera colistière avant que McCain ne l’évince pour choisir quelqu’un d’autre. À suivre.

Pierre R.

3 09 2008
Françoise

« La dureté de ses positions sur l’avortement, l’éducation sexuelle, l’homosexualité et autres la dépeint comme une femme froide, calculatrice et volontaire. »

Je suppose qu’entre autres choses cette dame est aussi contre la contraception et pour la chasteté avant le mariage… Peut-être est-ce justement cela qui « appelle » à porter « au devant de la scène » le fait que sa fille soit enceinte. Cette contradiction entre ce que prône Mme Palin et ce qui arrive à sa propre fille « hors mariage ». Je n’approuve pas cette publicité faite autour de cette grossesse, mais cela semble inévitable ; ce qui n’aurait été qu’un « détail » pour d’autres familles, devient ici « événement » de par les convictions affichées et revendiquées par Mme Pain.

3 09 2008
Pierre Chantelois

Françoise

C’est George Orwell qui disait : « Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que vent ». Les Américains exigent de leurs candidats un parcours sans faute. Par contre, une fois au pouvoir, ces mêmes candidats, au parcours sans tache et sans faute, se permettent de mentir à qui mieux mieux. Le Center for public Integrity et le Fund for independence in journalism avaient répertorié, dans leur étude Faux Prétextes, « au moins 935 fausses déclarations de hauts responsables de l’administration sur la menace que présentait l’Irak de Saddam Hussein pour la sécurité nationale ».

Et ce discours d’Hillary Clinton au congrès démocrate. Bakchich cite Tom De Frank, le correspondant en chef du quotidien New York Daily News, qui écrit : « quiconque a cru qu’Hillary a exorcisé ses rêves de devenir la première femme présidente était dans une autre galaxie mardi soir ».

Et Bakchich pose la question qui se doit dans les circonstances : « Où sont passées les dénonciations des mensonges qui ont mené les États-Unis à la guerre en Irak ? »

Le mensonge n’est pas inscrit dans les péchés capitaux aux États-Unis parce que c’est l’arme la plus puissante dont ils disposent. Dans une société américaine où plus de 90% de la population se déclare croyante, force est d’admettre qu’il y a des entorses à beaucoup de leurs principes religieux. Et tant que le mensonge n’est pas découvert, il reste une vérité. Terrible.

3 09 2008
Françoise

Pierre,
 
Le mensonge, les mensonges ont été découverts, au moins en ce qui concerne l’Irak. Mais on fait comme si tout cela n’avait jamais existé.

Ce n’est pas particulier à l’Amérique, mais il faut reconnaître que sur ce plan, les dirigeants américains sont des champions de l’oubli salvateur… Le peuple américain est-il dupe ? Efface-t-il l’ardoise aussi facilement à chaque nouvelle élection ?

3 09 2008
Pierre Chantelois

Françoise

Très bonne question. Je répondrais que le peuple américain veut ignorer le mal qui ronge le pays et s’en tenir strictement aux règles morales sur lesquelles l’américain croyant moyen s’appuie pour se bercer dans l’illusion que sa vie a un but : vivre en paix avec sa conscience. Sauf que… est-il besoin d’épiloguer sur cette dernière affirmation ?

Pierre R.

3 09 2008
décembre

Don’t stand in the kitchen if you can’t stand the heat.

Pour les personnages publics, la vie privée n’existe pas, pas plus que pour nous, espionnés sans cesse par Big Brother….. »quoique ce ne soit pas tout à fait comparable », comme dirait peut-être Gilles ! beubye.

3 09 2008
Pierre Chantelois

Décembre

Entièrement d’accord. Ce qui, tout de même, dans le cas présent, me chagrine est le fait qu’une jeune fille de 17 ans voit sa vie privée étalée sur la place publique non pas en raison d’un geste héroïque mais simplement parce qu’elle a aimé un garçon qui lui a laissé un enfant en cadeau. L’épousera-t-elle ? C’est la question que se pose cette droite ultra-conservatrice américaine. C’est l’événement People du jour, quoi.

Pierre R.

5 09 2008
décembre

…une jeune fille de 17 ans voit sa vie privée étalée sur la place publique…PR

D’accord mais, elle en retire peut-être une satisfaction immense, allez donc savoir !

….elle a aimé un garçon qui lui a laissé un enfant en cadeau…PR

Non mais Pierre, êtes-vous en manque d’un bon roman savon or something ?hahaha
Mon père disait : un enfant, c’est un cadeau. Pourquoi alors blâmer le père d’un tel cadeau ? Est-il nécessaire pour la suite, le père ? Plusieurs préfèrent l’argent !

À 17 ans, elle connaissait sûrement sa mère et savait très bien ce qui arriverait si elle tombait enceinte. Elle avait des choix. On a tous les mêmes choix.
Ce qu’elle a choisi, peut-être l’a-t-elle planifiée, les enfants sont si méchants, si mesquins parfois (!) ? Est-elle innocente cette fleur du mal ? wow Qui veut ajouter du savon ici ? Bonne soirée.

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