Mourir de faim oui. Mais en silence. Pour ne pas troubler les gouvernements

16 10 2008

Avec trois milliards d’euros, des programmes d’aide alimentaire pourraient sauver des millions d’enfants de la mort. « Le climat de grande incertitude qui règne désormais sur les marchés internationaux et la menace d’une récession mondiale pourraient inciter les pays au protectionnisme et à la révision de leurs engagements en matière d’aide internationale au développement », déclarait Jacques Diouf, directeur général de la FAO. « La crise financière mondiale ne doit pas nous faire oublier la crise alimentaire ». Près d’un milliard de personnes sont menacés par la famine dans le sillage de la hausse du prix des aliments, selon l’organisation humanitaire Oxfam. L’organisation CARE international a dévoilé que 17 millions d’habitants de la Corne africaine étaient menacées par la famine, dont 6,4 millions uniquement en Éthiopie et la moitié de la population somalienne. L’ensemble des pays européens viennent de consentir 1 300 milliards d’euros pour sauver les banques.

Ancien rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies de 2000 à 2008, Jean Ziegler est actuellement membre du comité consultatif du conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Jean Ziegler parle. Il parle fort. Il gueule parfois. Avec raison. C’est ce même Jean Ziegler qui avait qualifié la faim dans le monde de « crime contre l’Humanité ». Jean Ziegler écrit, également. Il revient à l’avant-scène de l’actualité avec un livre, publié la semaine dernière, « La haine de l’Occident », consacré à cette absurdité qui va renforcer la haine de l’Occident ressentie dans les pays pauvres. Selon lui, l’Occident dans son sens large n’a pas pris conscience de ce qui est devenu la haine à son égard des peuples du Sud. Face à l’échec des Nations unies et l’absence de dialogue Nord-Sud, Jean Ziegler voit poindre une menace mortelle pour la planète. Ses coups de gueule sont connus : « Un enfant qui meurt de faim aujourd’hui est un enfant assassiné ».

Jean Ziegler dit tout haut ce que des populations n’osent dire tout bas : « On met 1700 milliards de dollars pour sauver les banques alors que les Objectifs du Millénaire fixés par l’ONU et qui veulent réduire la pauvreté de moitié d’ici à 2015 ne seront pas atteints faute d’argent ». Le Programme alimentaire mondial de l’Onu, par exemple, en est réduit à rationner la nourriture pour les réfugiés au Darfour où un adulte reçoit 1.600 calories par jour au lieu des 2.200 recommandées par l’Organisation mondiale de la santé.

Avec le krach financier, Jean Ziegler en vient à espérer que les gens, qui vont souffrir en Occident, découvrent tout à coup l’ennemi qu’il définit comme « le néolibéralisme qui a fait croire qu’une dérégulation frénétique allait résorber tous les problèmes de l’Humanité dont la faim ». Et dire que « sur une planète qui regorge de richesses, un enfant de moins de dix ans meurt toutes les cinq minutes ».

Jean Ziegler revient sur une réalité qu’il n’a cessé de dénoncer : de 2001 à 2008, « la tragédie de la faim s’est amplifiée à cause de l’explosion des prix mondiaux des matières agricoles » qui ont provoqué des émeutes dans une quarantaine de pays au printemps 2008 et « en raison du développement aussi massif que criminel des agrocarburants ».

Comme l’indique le programme : les Objectifs du Millénaire, dans son rapport d’étape, « être pauvre, ce n’est pas seulement avoir un revenu faible, c’est aussi être privé de soins médicaux, d’éducation et des autres aspects du bien-être humain ». Il convient de rappeler quelques constatations à ce propos. « Les populations qui souffrent de la faim continuent, en valeur absolue, à croître et la faiblesse des rémunérations maintient 20% de la population salariée sous le seuil de pauvreté ». Selon la FAO, qui a publié, le mois dernier, des statistiques dramatiques, 923 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde (75 millions de personnes de plus en un an).

Les migrations vers les villes n’arrangent rien. « Les difficultés de la vie en milieu rural encouragent la migration vers les villes et les cités ; ainsi, environ la moitié de la population mondiale vit aujourd’hui dans des zones urbaines. Malheureusement, ce mouvement n’a pas nécessairement apporté une solution à la pauvreté. En 2005, par exemple, un peu plus d’un tiers de la population urbaine des régions en développement vivait dans des bidonvilles, avec les problèmes que cela comporte, notamment le manque d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’infrastructures sociales, en particulier pour la santé et l’éducation ».

Jean Ziegler prévient : « La malnutrition dans le monde explose. Il faut rappeler que la période entre 0 et 5 ans est décisive : c’est à ce moment-là que les cellules cérébrales se développent. Un enfant qui n’a pas eu les calories et/ou les vitamines nécessaires, même si sa situation s’améliore à huit ou dix ans, reste mutilé à vie ».

Colère et irritation donc de Jean Ziegler. Il accuse le Fonds monétaire international (FMI) d’avoir semé les graines de la haine en Afrique. Il s’en prend à Nicolas Sarkozy qui a reproché aux Africains « leur immobilisme qui ne laisse pas de place ni pour l’aventure humaine, ni pour le progrès ». Il remet le pendule à l’heure : « L’une des principales causes du désastre alimentaire en Afrique est la politique de dumping pratiqué par les États occidentaux qui versent un milliard de dollars par jour à l’aide à la production et à l’exportation ». Jean Ziegler dénonce l’hypocrisie du président français lorsqu’il avait déclaré devant un parterre africain : « Voulez-vous qu’il n’y ait plus de famine en Afrique ? Cherchez l’autosuffisance alimentaire et la France sera avec vous pour bâtir cet avenir ». Jean Ziegler pousse plus la dénonciation du discours du président français : « le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar. Le président français a osé dire que la colonisation était une bonne chose, car elle avait permis la construction de centaines de kilomètres de route en Afrique. Il n’a pas dit un mot sur les dizaines de milliers de personnes massacrées par la Légion étrangère à Madagascar et en Algérie ».

Dans une entrevue qu’il accordait à Stéphanie Germanier, Jean Ziegler ratisse large : « Ce qui paralyse le travail de la communauté internationale, c’est le double langage que pratique l’Occident aujourd’hui. Les États-Unis se posent en garants de valeurs humanistes, alors qu’ils pratiquent la torture. L’Union européenne se vante d’être le berceau des droits de l’homme, mais affame la planète en soutenant la production de biocarburants. Tout cela débouche sur le fait que le Sud refuse aujourd’hui toute crédibilité à l’Occident ».

À propos de son livre : « La haine de l’Occident », Jean Ziegler s’explique : « Je sais que le titre de mon livre peut choquer, mais quand je parle de la haine de l’Occident je ne pense évidemment pas à la haine pathologique propre aux terroristes, mais à la haine raisonnée. Autrefois les enfants du Sud mouraient sous l’esclavage et la colonisation ; aujourd’hui, ils meurent sous le capitalisme globalisé. Régis Debray a dit : « Ziegler est un nègre blanc. » Et c’est vrai. J’ai énormément appris de l’Afrique ».

Un sondage effectué par le BVA pour le CCFD et le journal La Croix, publié à l’occasion de la Journée mondiale contre la faim dans le monde, indique que 58% des Français considèrent que la situation de la faim dans le monde se dégrade, contre 48% seulement l’an dernier. 58% pensent aussi que l’on ne pourra jamais résoudre le problème de la faim dans le monde, contre 44% l’an dernier. Qui peut régler le problème  ? « Parmi ceux considérés comme les moins fiables, on trouve en tête les gouvernements des pays pauvres eux-mêmes (79 % ne leur font pas confiance), suivis à égalité par les institutions financières internationales et le gouvernement français (66 % n’ont pas confiance) », déclare Catherine Rebuffel pour La Croix.

François Danel, directeur général d’Action contre la faim (ACF) organisait mercredi soir à Paris un débat sur la crise alimentaire mondiale. À cette occasion, ce dernier déclarait : « Je suis surpris de la rapidité et de la facilité avec laquelle on arrive aux États-Unis à mobiliser 700 milliards de dollars pour sauver de grandes banques. Quand il s’agit du drame de la faim, de la malnutrition, on a beaucoup de mal à mobiliser les énergies et les fonds. Le contraste me paraît très fort alors qu’un enfant âgé de moins de 10 ans meurt de faim ou de ses conséquences toutes les cinq minutes dans le monde ».

« Traiter un enfant malnutri coûte environ 60 dollars par an », expliquait Valérie Bemo, de la Fondation Gates. Mais voilà. La malnutrition est un secteur complètement négligé alors que 55 millions d’enfants en souffrent. « Des centaines de millions de personnes souffrent de la faim mais ils le font en silence si bien que cette question n’est pas considérée comme stratégique par les gouvernants », commentait Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Nous en sommes rendus là. Mourir de faim oui. Mais en silence. Pour ne pas troubler les gouvernements.

Campagne 2007 – Action contre la faim


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11 responses

16 10 2008
Françoise

Mourir de faim en silence… Ou bien n’est-ce pas plutôt mourir de faim parmi des sourds ? Non seulement des sourds mais des aveugles. Les « grands » de ce monde sauvent le capitalisme, pour se sauver eux-mêmes ? Mais c’est bien le capitalisme « décomplexé » qui fait que l’on meurt de faim dans un monde qui pourrait donner à chacun le nécessaire.
 

16 10 2008
Françoise

Pierre,

Si vous ne l’avez lu voici un article qui en dit long sur la « cécité des puissants » ;

16 10 2008
mosane

Hier, sans savoir d’ailleurs si c’est, c’était, ce serait suffisant, nos États ont massivement perfusé le système bancaire. Aujourd’hui présumant une profonde altération du système productif, ce sont les bourses mondiales qui hoquètent. Demain le chômage va profondément atteindre nos compatriotes. Un à un, les composants du système capitaliste mondial se retrouvent au bord du gouffre. Nos peuples auront-ils le courage, la force de lui donner le dernier coup de pied salutaire ? Sauront-ils revenir aux fondamentaux ? c’était pourtant très beau : « Liberté, Égalité, Fraternité« …

16 10 2008
Pierre Chantelois

Françoise

Merci pour cette lecture du Monde Diplomatique. « Les États qui ont suivi les conseils de la Banque mondiale et du FMI ont sacrifié leur agriculture vivrière. Ils ne peuvent donc plus se réserver l’usage de leurs récoltes ». C’est pas rien. Et que dire de ceci : « Une des manières de résoudre les questions de famine, c’est d’augmenter le commerce international » ?

Cette perspective du cri de la faim parmi les sourds est effrayante. C’est pourtant la réalité. Hélas!

Mosane

Près d’un Français sur deux ne se sent par à l’abri de l’exclusion. C’est ce que révélait, en décembre 2006, un sondage BVA pour Emmaüs. Selon ce sondage, 48% des personnes interrogées se sentaient menacées par le fait de devenir un jour sans-abri. Cette crainte montait à 62% chez les 35-49 ans, à 74% chez les ouvriers, et à 51% chez les femmes.

Que dirait ce même sondage en 2008 dans la présente conjoncture économique ?

Pierre R.

16 10 2008
Olivier SC

Voici qui donne une suite excellente au Blog Action Day dont je parlais hier ! C’est bien de pouvoir ainsi revenir sur des sujets !

16 10 2008
Pierre Chantelois

Bonjour Olivier

Merci. La journée internationale de la faim a été traitée autant la veille que le jour même. J’avais lu effectivement hier les liens que vous avez proposés sur le sujet regroupés sous le thème Blog Action Day. Bloguer ou ne pas bloguer reste toujours une inspiration, je le répète avec plaisir.

Pierre R.

17 10 2008
gaetanpelletier

La pauvreté – la faim dans le monde – ne cesse de croître…

Qui donc peut croire les «grands de ce monde» quand ils parlent «d’investir» dans la faim. C’est leur appétit sans fin – ceux des financiers- qui chamboulent tout.

Merci!

Gaétan Pelletier

17 10 2008
Pierre Chantelois

Bonjour Gaétan

En effet. Par ailleurs, je recommande aux lecteurs de cliquer sur le lien et de découvrir un autre blogue du Québec. Les observations qu’on peut y lire sont intéressantes et fort pertinentes.

Pierre R.

20 10 2008
Catherine

Long time since I left a few words… But I read as often as possible. Been very busy here… there is hunger in the neighborhood… I must help.

BTW I love your pictures!!! Magnifique!!!

Catherine

22 10 2008
joseph mitchell Germain

je suis Joseph Mitchell Germain de nationalite Haitienne et vivant en Haiti.Faites moi savoir S V P . un distributeur de votre livre LA HAINE DE L OCCIDENT . Merci

26 07 2010
estelle

mourir de faim, oui en france cela existe…
La plupart des gens qui meurrent de faim en france vivent dehors mais certains ont un logement et une fois leur loyer payé ils n’ont plus rien pour manger…. Certes ils peuvent aller demander de l’aide alimentaire auprès de diverses associations qui feront ce qu’ils peuvent… Si l’on regarde vers le fond de l’abîme c’est l’abime qui risque de nous emporter. Je pense que moralement ce n’est pas trés bon de se retrouver avec des personnes en situation extremement précaire, tout comme de se retrouver avec des gens d’un autre milieu.

Actuellement tous ceux qui ont faim en france sont méprisés, incompris par les trois quarts de ceux qui ne connaissent pas la faim.

Le seul avantage d’avoir faim c’est d’avoir ine ligne exemplaire qui fait des tas de jalouses qui ne comprennent pas comment ces femmes et ces hommes peuvent etre si minces et ce à n’importe quel âge…
Au moins un aspect positif d’avoir faim et en plus ce n’est pas onéreux

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