Le Forum social mondial est-il ou dépassé ou trop soumis, comme le craignent des altermondialistes ?

2 02 2009

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Belem, au cœur de l’Amazonie. Comme il fallait s’y attendre, la crise financière a largement dominé les débats au Forum social mondial de Belém. Mais le Forum, né à Porto Alegre, fut l’occasion, pour le peuple amazonien, de s’inviter cette année : ils étaient des milliers d’Indiens, notamment des neuf pays pan-amazoniens (Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Surinam, Venezuela et Guyane française) et des 49 tribus de l’État amazonien du Para, dont Belem est la capitale. Ils ont lancé un cri d’alarme : « L’Amazonie pourra toujours être sauvée si les peuples indigènes et leurs préoccupations sont écoutés. Parce que nous on vit dans notre propre chair ce qui est en train de se passer en Amazonie ». L’Amazonie, qui abrite le plus grand réservoir de biodiversité au monde et joue un rôle essentiel dans l’équilibre climatique de la planète, a, en 40 ans, perdu 17% de ses arbres. « Pour Lula et son gouvernement, l’écologie représente surtout un obstacle au développement », a affirmé le chantre de la théologie de la libération, Leonardo Boff.

Près de 100 000 activistes de gauche et écologistes ont participé à la septième édition du Forum social mondial (FSM), soit six jours de débats et de manifestations (plus de 2.000 débats par des centaines d’organisations). Les présidents du Brésil, Luiz Ignacio Lula da Silva, de l’Équateur, Rafael Correa, du Paraguay, Fernando Lugo, du Venezuela, Hugo Chavez et de la Bolivie, Evo Morales, étaient sur place, contrairement au passé où les chefs d’État n’étaient pas invités. Lula da Silva a, malgré qu’il n’est pas, aux yeux des altermondialistes, dans l’esprit de la rupture, expliqué en ces termes la présence des chefs d’État : « aucun de nous n’a été choisi par l’élite, nous sommes l’émanation des mouvements sociaux, des syndicats et des revendications indigènes ». Le Brésil, à lui seul, a consacré 50 millions de dollars à cette réunion. Lors de la première rencontre des quatre chefs d’État avec l’assemblée générale, Lula a clairement été exclu, les mouvements sociaux ne souhaitant pas le faire paraître comme un chef d’Etat de la « rupture ».

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« J’espère que les gouvernements suivront les mouvements sociaux et non pas que les mouvements suivront les gouvernements », déclarait, à l’AFP, Gina Vargas, une sociologue et féministe péruvienne, critiquant la « proximité » de nombreux mouvements avec les gouvernements de gauche en Amérique latine, comme celui d’Hugo Chavez.« Si le Forum social mondial (FSM) ne donne pas de réponses à la crise du néo-libéralisme, pour obtenir la paix dans le monde et pour instaurer des modèles de substitution, il sera dépassé », craint le philosophe brésilien Emir Sader.

Le paysage s’assombrit. Le constat se résume, encore une fois, à cette déclaration d’Hugo Chavez : « Nous assistons à une crise du système capitaliste mondial et des choix économiques irresponsables du gouvernement des États-Unis ». Et Chavez de poursuivre : « La misère, la pauvreté et le chômage sont en augmentation, et cela est pour l’essentiel la faute du capitalisme mondial ». Et Lula da Silva a renchéri : « Le monde développé nous disait ce que nous devions faire en Amérique latine. Ils semblaient infaillibles et nous incompétents (…) Ils nous ont dit que le marché développerait les pays. Et ce marché a fait faillite par manque de responsabilité et de contrôle ».

Evo Morales a prévenu les altermondialistes que si les peuples du monde ne sont pas capables d’enterrer le capitalisme, le capitalisme enterrera la planète. Il convient toutefois de ne pas occulter, dans ces forums, certaines décisions contestées du président du Brésil, pays hôte du Forum, qui sont peu orthodoxes avec la pensée altermondialiste : il faut rappeler l’importance mise par l’État brésilien sur les biocarburants et les exportations de la viande de bœuf, entre autres choses. Et ces grands projets de centrale hydro-électrique de plusieurs milliers de mégawatts en Amazonie. Dans la seule Amazonie brésilienne vivent 25 millions de personnes.

Un représentant de l’ONG brésilienne Commission pastorale de la terre déclarait à Swiss Info : « dans une région que nous avons examinée de près, nous avons constaté un lien direct entre la violence rurale et l’extension de l’élevage. Les «fazendeiros» (propriétaires terriens) et les grandes entreprises n’hésitent pas à fabriquer de faux titres de propriété et, si nécessaire, à utiliser la violence pour déloger les petits paysans indésirables ». Le scientifique brésilien, Adalberto Verissimo, craint que, si les déboisements atteignent 30% de l’Amazonie, « on entrera dans un processus irréversible et les conséquences seront catastrophiques pour la vie sur la planète Terre ». De plus, 79,5% des terres déboisées y sont converties en pâtures pour le bétail, dénonce Greenpeace. Selon Adalberto Verissimo, il faut « prendre d’urgence des mesures pour contenir la déforestation ». À son tour, Greenpeace lancait, au Forum social mondial, un appel au gouvernement brésilien : « il est plus que temps pour le gouvernement de recouvrer la raison et de stopper la déforestation de l’Amazonie. Ceci passe par l’arrêt de l’expansion de l’élevage dès maintenant », déclarait Jérôme Frignet, chargé de campagne Forêts pour Greenpeace France.

Une organisatrice du Forum, Adalice Oterloo, déclarait : « c’est le moment de construire un nouveau modèle pour une civilisation qui est malade et s’organise sur un modèle qui viole les droits de l’homme et détruit l’environnement ».

Un consensus s’est dégagé de Belem mais aussi quelques doutes. D’abord, oui il faut créer un organisme mondial pour réglementer le système financier et mettre en place un contrôle plus étroit des banques et des transactions financières. Des pistes ont été explorées et débattues : un commerce équitable, un nouveau système de réserves internationales qui ne soit plus basé sur le dollar, une taxation des transactions boursières en faveur des pays pauvres, un contrôle plus stricte des instituts financiers, des investissements publics dans les énergies vertes et l’élimination de la dette du tiers-monde.

Puis vinrent les doutes. En début d’événement, les jeunes, pour la plupart des étudiants, rassemblés au Campement de la jeunesse sur la place Che Guevara, manifestaient un profond désir que le forum aille au-delà des critiques de l’ordre établi, du pouvoir du capital, des injustices sociales et économiques et des guerres. « Le forum doit changer, il ne suffit pas que chacun parle de soi mais il faut créer un nouveau projet, voir comment nous contribuons à créer ce nouveau monde que nous voulons », expliquait Fabiana à l’AFP. « Nous voulons montrer que nos propositions peuvent être mises en pratique. Moins de blablabla et construire cet autre monde que nous proposons », expliquait également le Mexicain Alberto Ruz.

Rita Schiavi, membre de la direction du syndicat Unia, déplorait, à la fin du Forum : « J’ai eu le sentiment que c’était un forum régional, centré sur l’Amérique latine. En l’absence de contre-propositions fortes, l’écho en Europe a été très limité ». Cette idée a été renforcée par Gustavo Marin, de la Fondation pour le progrès de l’homme qui croit que : « le mouvement s’est diffusé en Amérique latine, car il a coïncidé là-bas avec une vague progressiste ; en Europe, il s’est vite essoufflé, et ailleurs il n’a pas pris ». Autre doute, non moins évident : au sein de ce consensus, il existe « une grande confusion entre les objectifs et les méthodes », comme l’a rappelé Lieven Vanhoutte, responsable du syndicat belge La Centrale générale.

Le Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM) déplorait, avant la tenue du Forum, « l’absence de convergence puisque 12 000 ateliers sont enregistrés sur seulement 5 jours de Forum ! D’autres problèmes plus graves ont également été identifiés comme le manque important d’interprètes et le coût exorbitant de l’entrée au Forum : 30 réals soit 10 euros, l’équivalent de 10 repas ! Force est donc de constater que les protestations citoyennes contre les prix excessifs durant le FSM de Nairobi, auxquelles le CADTM a pris part n’ont pas été entendues. La conséquence est directe : l’exclusion de fait des populations locales du Sud, principales victimes du système capitaliste. Rappelons que l’accès à un Forum gratuit pour les populations du Sud est tout à fait possible comme l’a démontré le FSM de Caracas en 2006 ».

Il n’y a eu aucune déclaration finale à l’issue du Forum. « Ce n’est pas notre vocation, on n’est pas un parti politique », a expliqué Candido Grzybowski, un des cofondateurs du Forum social mondial. Un nouveau rendez-vous est fixé le 28 mars, à Londres, à l’occasion du sommet du G20.

Au Nord, à Davos, les leaders politiques et économiques ont également imputé aux États-Unis la crise financière qui se transforme aujourd’hui en récession mondiale. Stephen Roach, président pour l’Asie de la banque d’investissement Morgan Stanley, l’un des rares à avoir averti des dangers que faisait courir à l’économie mondiale la crise américaine des crédits hypothécaires à risque, a bien résumé l’esprit qui a prévalu : « Nous entrons à présent dans la phase la plus détestable de toute crise, celle des accusations ». Face aux menaces d’une montée du protectionnisme, les ministres du Commerce d’une vingtaine de pays ont tenté de relancer le cycle de Doha. Pascal Lamy, directeur général de l’OMC, a tempéré les ardeurs puisqu’il estime que le fossé est trop profond pour lancer un ultime effort en vue de boucler les négociations.

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8 responses

2 02 2009
Françoise

[…] si les peuples du monde ne sont pas capables d’enterrer le capitalisme, le capitalisme enterrera la planète.

Je pense que « l’enterrement » s’est déjà mis en route, mais je ne sais qui pourra, aura la volonté d’arrêter le corbillard…

[…] les leaders politiques et économiques ont également imputé aux États-Unis la crise financière qui se transforme aujourd’hui en récession mondiale.

C’est si facile de faire porter toute la responsabilité aux autres… Qu’ont fait ces leaders politiques et économiques sinon copier et appliquer avec enthousiasme le saco-saint modèle économique américain ?

2 02 2009
Catherine

From the beginning of days, man as played the blame game. Never helps anything or anyone.
Does any one have enough « guts »? It’s not about us, it’s about those coming after us!

2 02 2009
Pierre Chantelois

Françoise

Il est intéressant de voir la perception du Nord et du Sud de cette crise qui secoue le monde. Au Nord, nous voyons les pays préoccupés par le commerce (protectionnisme oblige) et au Sud nous voyons des pays préoccupés par la qualité de vivre. Au Nord on se préoccupe de sauver du naufrage les banques, au Sud on se préoccupe des impacts de la crise sur les populations pauvres. ¡ No queremos Vivir Mejor, queremos Vivir Bien !, a lancé Evo Morales. La dualité du « bien vivre » qui s’opposerait à un « vivre mieux« . D’un côté, on propose la refondation du capitalisme, de l’autre côté, une transformation sociale.

Catherine

En effet, tellement plus simple de jeter des blâmes. Les blâmes regardent derrière et occultent l’avenir. Très juste.

Pierre R.

2 02 2009
Françoise

D’un côté, on propose la refondation du capitalisme, de l’autre côté, une transformation sociale.

Pour moi, le choix est vite fait. Le capitalisme « refondé » je n’y crois pas. Le capitalisme en lui-même porte tous les excès auxquels nous assistons. Nulle philanthropie, seul compte le profit, au détriment de devenir de la planète et des peuples.

2 02 2009
Pierre Chantelois

Françoise

Vous souvenez-vous de cette phrase inoubliable du président de la République, en janvier : « La crise du capitalisme financier n’est pas la crise du capitalisme (…) l’anticapitalisme, c’est une impasse, c’est la négation de tout ce qui a permis d’asseoir l’idée de progrès » ? Ne trouvez-vous pas que Nicolas Sarkozy a un grand sens de l’humour ?

Pierre R.

2 02 2009
Françoise

😉

Pierre,

Notre oracle national se trompe-t-il jamais ?

(Ses déclarations me laissent souvent… assise.)

2 02 2009
gaetanpelletier

[…] si les peuples du monde ne sont pas capables d’enterrer le capitalisme, le capitalisme enterrera la planète.
Quand j’ai lu le billet la première fois, c’est la phrase qui m’a frappé. Elle est citée par Françoise.
Elle résume bien l’entonnoir dans lequel se situe la planète… L’Homme, devrais-je dire.
Hélas! Le capitalisme «obsédé» aura fini – selon moi- par «éteindre» la vie.
À moins qu’ici une ou deux décennies «la nécessité» fasse en sorte qu’on échappe au lent cataclysme.
Les optimistes disaient qu’il survenait toujours, en temps de crise, une nouvelle invention, concept, peu importe, voire technologie qui nous permettait de guérir.
Oui, c’était au temps où il y avait un «espace» encore ouvert sur la petite planète.
La situation actuelle n’a rien à voir avec les précédentes.
«Renverser la vapeur» est un cliché.
Les rails sur lesquelles roule le train ne laisse pas de traces derrière lui.
___________________________-
« Le monde développé nous disait ce que nous devions faire en Amérique latine. Ils semblaient infaillibles et nous incompétents (…) Ils nous ont dit que le marché développerait les pays. Et ce marché a fait faillite par manque de responsabilité et de contrôle ».
Ils nous semblaient infaillibles, et nous incompétents.
L’honnêteté et la bonne volonté y étaient-ils?
Tour de Babel, on dirait.

25 11 2010
LE DESTIN DE L’HUMANITÉ : UN HOMME ET SON PÉCHÉ « LA VIDURE

[…] Pierre R. Chantelois  SOURCE […]

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