La France a peur de ses enfants : la prison à 12 ans !

2 12 2008

Au Canada, les conservateurs veulent, si les jeunes contrevenants sont reconnus coupables de meurtre, qu’ils soient passibles de peine d’emprisonnement à vie. Face à de vives inquiétudes, la population canadienne et québécoise a sanctionné Stephen Harper en refusant de lui donner un gouvernement majoritaire.

Derrière des grillages, des enfants sont plus inoffensifs!

Derrière des grillages, les enfants sont plus inoffensifs!

Au Québec, Jacques Dupuis, ministre de la Justice et de la Sécurité publique, ne voit rien de bon dans l’incarcération de jeunes de 14 ans dans des prisons pour adultes. Pour lui, c’est la négation de toute possibilité de réhabilitation. « La prison à vie pour un enfant de 14 ans, je ne peux pas ne pas penser qu’un jour il va sortir de prison. Si on l’emprisonne à 14 ans, pour perpétuité, il va sortir à 30 ans, à 40 ans. Qu’est-ce qu’il aura appris dans la prison et quel genre d’individu sera-t-il en sortant? »

Au cours de la dernière campagne électorale, Stephen Harper voulait remplacer la Loi sur les jeunes contrevenants par une nouvelle législation qui condamnerait à la prison à vie les adolescents de 14 à 16 ans qui ont commis un meurtre, avec ou sans préméditation. Les autres crimes graves seraient punis par 14 ans de prison. Plusieurs voix s’étaient élevées contre ce durcissement d’une droite politique et religieuse sans compassion.

L’Association canadienne pour la formation en travail social, l’Association canadienne des travailleuses et travailleurs sociaux, les travailleurs sociaux de Terre-Neuve et du Labrador, ceux de l’Alberta, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse de même que les membres de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec avaient uni leur voix pour dénoncer cette décision de Steven Harper.

Selon les travailleurs sociaux, cette orientation du gouvernement conservateur reposait et repose toujours sur des préjugés et démontrait la méconnaisse totale du leader conservateur en matière de jeunesse et de lutte contre la criminalité. M. Harper a tout faux disent les travailleurs sociaux :

  • Ce n’est pas vrai que la criminalité est en hausse; en fait, depuis 1991, on observe une diminution constante;
  • La réhabilitation et l’accompagnement des jeunes contrevenants génèrent de meilleurs résultats que la répression. Au Québec, par exemple, là où les services sociaux et le gouvernement misent sur cette approche, on dénombre deux fois moins de criminalité juvénile que la moyenne pour le Canada;
  • Jeter en prison des enfants de 14 ans, avec des adultes, équivaut à les jeter dans les griffes de criminels endurcis avec tous les risques que cela comporte pour les jeunes eux-mêmes et pour la société au sein de laquelle ils finiront par revenir;
  • Enfin, l’un des pays au monde où l’approche répressive est la plus en vogue, les États-Unis, affiche le plus haut taux de criminalité de tous les pays industrialisés.

La théorie de Stephen Harper ? La même que celle de Nicolas Sarkozy. Pour le chef d’État canadien, qui dit croire en la réhabilitation, de telles mesures sont primordiales pour tenir les jeunes contrevenants responsables de leurs actes tout en empêchant les autres de commettre des crimes de même nature.

Tous suspects !

Tous suspects ?

La justice française n’avait jamais fixé d’âge légal à partir duquel le mineur pouvait être pénalement responsable de ses actes, la responsabilité étant appréciée au cas par cas en fonction du principe de « discernement ». Elle entend corriger ce petit accroc grâce à une équipe présidentielle de droite à très courte vue. Un groupe de travail, présidé par l’universitaire André Varinard, qui comprend 32 membres, magistrats, éducateurs et parlementaires, propose de fixer l’âge de responsabilité pénale à 12 ans. Ce qui signifierait dans les faits que l’âge légal d’un placement en détention provisoire pour un crime, qui est toujours fixé à 13 ans, passera à 12 ans. Et la majorité pénale serait abaissée de 18 à 16 ans.

RFI nous apprend même que certains membres de la commission, des avocats et des policiers, auraient souhaité que l’on baisse davantage l’âge de ces enfants jusqu’à 10 ans pour pouvoir les auditionner. Des dérogations sont donc prévues en ce sens en fonction de la gravité des délits et de l’enquête

Le principe fondamental de la primauté de « l’éducation sur la sanction » vient de sauter. Déjà que l’ordonnance de 1945 avait fait l’objet d’une quarantaine d’amendements depuis son entrée en vigueur! Il en va autrement outre-Atlantique : le Québec s’acharne à maintenir ce principe envers et contre toutes les tentatives de la droite conservatrice fédérale.

Le jeu signifie aussi la liberté

Le jeu signifie aussi la liberté

La présidente du Syndicat de la Magistrature, Emmanuelle Perreux, a déclaré à Reuter : « Il est clair qu’on est dans cette politique du tout-pénal qui oublie complètement qu’un mineur peut être un délinquant, mais qu’il est surtout un être en construction. On ne peut pas dissocier la politique pénale de la politique éducative ».

Est-ce bien une consolation ? Selon La Croix, la commission Varinard a rappelé la nécessité d’accélérer les procédures, pour éviter par exemple qu’un jeune soit jugé à 19 ans pour un acte qu’il a commis à 13 ans. Le procureur devrait effectuer, dans des délais assez brefs, un « tri » plus important pour désencombrer les tribunaux. Et les mesures éducatives et de protection des mineurs qui relèvent du civil ne seraient plus prises en charge par la justice mais par les conseils généraux, ce qui risque de peser lourdement sur les départements et de créer des inégalités territoriales.

Un autre son de cloche que nous rappelle Libération : « Thomas Hammarberg est commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe. Il regrette que ce « durcissement des peines » aggrave la surpopulation carcérale. C’est pourquoi il dénonce la « surpopulation », la « promiscuité », la « vétusté des installations  » et les mauvaises conditions d’hygiène. Pour lui, « le nombre élevé de suicides dans les prisons françaises est un symptôme » de ces « déficiences ». Le Commissaire dénonce aussi la politique d’immigration, et notamment le sort réservé aux enfants d’étrangers en situation irrégulière. Relevant qu’au centre de rétention administrative de Mayotte – antichambre avant l’expulsion -, ils sont mélangés aux adultes ou, au contraire, raccompagnés à la frontière sans leurs parents. Et qu’en métropole, « la présence d’enfants accompagnant leurs parents dans les centres de rétention s’est accrue » (Libération).

La France a vraiment mal à ses enfants. Elle en a maintenant peur.


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9 responses

2 12 2008
Pierre Chantelois

Au lecteur

J’invite le lecteur à lire, en complément, ce témoignage de Maître Mo qui relate l’histoire déchirante d’Odile. J’invite également le lecteur à lire ces témoignages sur les intrusions policières dans les écoles. Il faut également lire ce questionnement que se pose Rue89 : Drogues : faut-il envoyer la police dans les collèges ? En terminant, l’article de notre confrère Olivier Bonnet en dit long sur les procédures policières en milieu scolaire.

Pierre R.

2 12 2008
Gilles

J’espère me tromper, mais à mon avis la prison à 12 ans est la voie ouverte au travail à 8 ans. La France de Sarkozy n’est plus la Douce France, cher pays de mon enfance
 

2 12 2008
Pierre R. Chantelois

Gilles

En effet, avec un brin de nostalgie, nous nous surprenons à regretter un temps passé… Est-ce que tout cela est l’effet du 11 septembre 2001 ? Est-ce que cette tendance était déjà en marche, en France, avant cette date transitoire ? Au Canada, nous venons de l’échapper belle. Je n’ose imaginer que nous ayons élu un gouvernement conservateur majoritaire à Ottawa. Le pendule incline beaucoup trop à droite. Vivement le centre !

Pierre R.

2 12 2008
Françoise

Pierre,
 
Je me permettrais de vous contredire : Non « la France » n’a pas peur de ses enfants, mais certains veulent installer la peur, faux arguments et faux chiffres à l’appui, pour justifier une politique qui nous mène tout droit (et c’est déjà bien commencé) vers un « régime policier ». Ce rapport est la parfaite démonstration de l’obsession sécuritaire de nos gouvernants qui eux ont peur de leurs concitoyens, car comment expliquer autrement cette escalade vers toujours plus de contrôles de toutes sortes, d’accumulations de fichiers informatiques, de répression, d’alourdissement des peines, de dérives policières qui ne sont pas sanctionnées mais couvertes sinon encouragées par l’exécutif et la ministre de l’Intérieur. Si ce projet aboutit ce seront non seulement les enfants qui en seront victimes mais toute la population.
 

2 12 2008
serrière

le repérage des comportements agressifs dès l’âge de 3 ans nous offre également des perspectives bien rassurantes!

2 12 2008
Pierre R. Chantelois

Françoise

Lorsque vous dites que non seulement les enfants en seront victimes, mais toute la population, je vous rejoins parfaitement. Il suffit de constater les dérives actuelles de la gendarmerie en milieu scolaire, auprès des citoyens honnêtes (le cas de l’ex-pdg de Libération est éloquent), des immigrants et autres groupes. Mais le cas des enfants, n’est-ce pas immensément triste de troquer le principe de la primauté de l’éducation sur la sanction pour un système nettement plus répressif ? Je n’ai aucune leçon à donner en la matière. Mais il reste que je ressens un grand malaise face à cette tendance de durcissement. Il suffit également de lire les opinions sur les groupes de discussion ou sur les blogues pour s’en convaincre. Vous avez fort bien identifier le malaise : installer la peur.

Chantal

J’imagine Françoise Dolto face à une pareille avenue dans l’un des plus grands pays de l’humanité. Ivan Illich est celui qui écrivait que nous devons d’abord bâtir une société, où l’acte personnel retrouve une valeur plus grande que la fabrication des choses et la manipulation des êtres.

Pierre R

2 12 2008
RV

« La France a vraiment mal à ses enfants. Elle en a maintenant peur. » Votre conclusion est terrible, en tant qu’éducateur j’en suis terrifié, et pourtant, même si Françoise souligne à juste titre que toute la France n’est pas ainsi, vous avez raison.
RV

2 12 2008
Pierre Chantelois

RV

Bien évidemment que ce n’est pas toute la France. J’ose même espérer qu’un jour, le retour du balancier se fera au gré d’un nouveau gouvernement plus au centre et plus respectueux de ses enfants. Vivement, par ailleurs.

Pierre R

6 12 2008
Pierre Chantelois

« Je suis totalement hostile à ce qu’on mette en prison des enfants de 12 ans et le gouvernement n’a pas de projet pour modifier la législation dans ce sens », vient de déclarer ce vendredi 5 décembre le premier ministre François Fillion. Pour Yves Thréard, la démocratie d’opinion a eu raison de la prison à 12 ans.

Lire également : Justice des mineurs: « On a des petits délinquants, on en fait des grands criminels ».

Pierre R.

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